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Samir Sabi : « Parler de la justice climatique »

La société civile togolaise s’organise à quelques semaines de la rencontre de Paris qui sera consacrée au changement climatique et ses conséquences. C’est dans ce contexte qu’ANA a recueilli l’avis de Samir SabiI, directeur de l’ONG Visions Solidaires, l’un des experts de la société civile togolaise qui réfléchissent sur les différents enjeux tant économiques qu’humanitaires de cette rencontre et les attentes des populations quant à cette rencontre tant attendue.

Interview

Quelles sont les conséquences du changement climatique pour le Togo ?

Les conséquences sont nombreuses. Mais Il y a des conséquences dont on ne parle pas assez, notamment au niveau de la transhumance. La sécheresse et le changement climatique poussent de plus en plus les éleveurs nomades à quitter le sahel pour les régions agricoles côtières du sud. Ainsi, nos agriculteurs se retrouvent avec leurs récoltes détruites. Ce phénomène entraine des conflits et des morts comme nous en avons eu au Togo, la fin de l’année passée et au début de cette année. Il faut aussi noter les déplacements internes liés aux inondations. Cela crée un grand bouleversement dans la vie des familles et des populations souvent pauvres. Ces dernières n’ont guère le choix que de vivre dans des quartiers souvent très facilement inondables où l’on retrouve les logements les moins chers. D’où la nécessite de parler de la justice climatique, car ce sont les populations les plus pauvres qui payent toujours le prix fort des problèmes causés par les populations riches.

Quelles seront les recommandations que le Togo doit faire à l’endroit des partenaires financiers au cours de la conférence Cop21 de Paris ?

Le Togo a beaucoup de choses à faire valoir lors de la Cop21. La première avant toute est de présenter au monde les conséquences qu’il subit déjà du fait du changement climatique. L’une des plus visibles sont les inondations qui ont frappé, les années passées, la capitale togolaise, mais avec plus d’acuité qu’auparavant. En outre, l’avancée de la mer devient un phénomène encore plus inquiétant qui met en danger la ville d’Aného, au sud du Togo. Cette ville est en train de disparaitre progressivement avec tout ce qu’elle représente au niveau économique et historique pour le Togo. Le Togo doit donc, à la Cop21, défendre la nécessité que soit adopté un accord juste et contraignant qui permette d’éviter que d’année en année on assiste à l’augmentation de la température avec toutes ses conséquences et à l’avancée des océans.

Que pensez-vous du rapport biennal que le Togo est en train d’élaborer?

Le rapport est encore en phase de projet. On pourra avoir le cœur net une fois que cela sera finalisé. Mais il faut noter que la rédaction de ce rapport sera un plus pour mieux intégrer les enjeux du changement climatique dans toutes les politiques sectorielles de développement au Togo, d’ici la fin de la SCAPE ou d’ailleurs dans les prochaines stratégies de croissance qu’adoptera le Togo. Je prends juste un exemple tout simple au niveau de la politique éducative. On peut se poser des questions sur l’importance de la formation sur le développement durable dans les cours qui sont données actuellement au sein du système d’enseignement secondaire et supérieur au Togo. On ne pourra pas faire face aux défis de l’économie verte et du développement durable sans une réelle prise en compte de l’environnement dans les cursus scolaires et universitaires.

Quelles sont les actions que vous comptez mener tant au plan national que régional pour pouvoir faire entendre la voix de l’Afrique lors de la conférence de Paris ?

Au niveau du Togo, beaucoup d’actions ont déjà été entreprises. La société civile togolaise s’est fortement impliquée dans les préparatifs de la Cop21 en collaborant avec le gouvernement pour l’élaboration de la contribution nationale togolaise. Plusieurs ateliers ont été organisés au niveau national pour harmoniser la position de l’ensemble des acteurs togolais devant se rendre à Paris. Nous avons également entrepris un renforcement au niveau des réseaux africains travaillant sur la justice climatique. Nous essayons d’agir au niveau de l’Union Africaine. Comme à chaque Cop, il faudra veiller à ce que les négociateurs africains ne soient pas juste obligés, à la dernière minute, d’avaliser ce qu’auront décidé les puissances

Selon vous que doivent faire les Etats africains pour atténuer les effets du changement climatique ?

Avant de parler d’atténuation, les Etats africains doivent surtout s’adapter aux effets du changement climatique pour limiter les conséquences en vies humaines et au niveau économique. Tous les scénarios ont montré qu’une augmentation de plus de 2°C entrainera une faillite agricole, une famine exacerbée et des conséquences humanitaires catastrophiques en Afrique. Pour s’adapter et voir atténuer les émissions, il faudra revoir nos villes pour mieux aménager les habitations, revoir nos modes de consommation énergétique, lutter plus efficacement contre l’avancée des océans et penser à des solutions alternatives aux agriculteurs et éleveurs face au rétrécissement des cours d’eau et pâturages. Il faudra des transferts technologiques importants pour éviter le pire à l’Afrique. Cependant les efforts d’atténuation auxquels l’Afrique sera contrainte ne doivent pas faire oublier la nécessité de pouvoir développer des secteurs économiques pour assurer l’emploi des jeunes qui occupent la majeure partie de la population du continent.

Pensez-vous que la création du Fonds Vert pourra réellement aider dans la lutte contre le changement climatique ?

Oui la création d’un fonds est nécessaire, mais il faudra réfléchir également à comment ce fonds sera financé et géré. Il ne faut pas oublier qu’on a eu de la peine à mobiliser 80 milliards FCFA par an sur 15 ans pour pouvoir atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). En outre, beaucoup d’organisations de la société civile sont contre le fait que la gestion de ce fonds soit confiée à la Banque Mondiale qui, souvent, octroie des financements pour des projets qui nuisent à l’environnement. Ce sera un des débats à suivre à Paris.

Par Emmanuel Atcha

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