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Parcours Vladimir Mendes-Borges d’Amiens au Cap-Vert

Adjoint au maire d’Amiens (Hauts de France), Vladimir Mendes-Borges, 35 ans, reste très proche de son pays d’origine le Cap-Vert et du continent africain. Il fait partie des 32 personnalités franco-africaines triées sur le volet, qui forment les rangs de la nouvelle génération du club très select des French young leaders. Objectif affiché : former “la relève”, la nouvelle génération dirigeante qui devra créer des ponts entre le continent et la France.

Propos recueillis par M.A

Vous avez été sélectionné pour entrer dans le club fermé des French young leaders 2019. Quel est votre parcours ? 

 

« Il faut partir pour revenir », c’est l’inscription que l’on pouvait lire aux portes de l’aéroport capverdien qui m’a vu m’éloigner de l’Afrique mais avec l’espoir d’un avenir meilleur. J’avais alors trois ans lorsque mes grands-parents, installés à Amiens m’ont accueilli, au sein d’un quartier populaire mais riche de sa diversité. J’étais donc parti. Il me fallait désormais grandir puis devenir. Devenir étudiant au sein d’une école de commerce. Devenir le leader d’une équipe représentant le Cap-Vert au National Model United Nation à New-York. Devenir Clitandre sur une scène de théâtre devant des passionnés de Molière. Devenir le Président de deux associations luttant contre l’échec scolaire ou menant des projets de solidarité au Cap-Vert. Devenir aumônier de prison et intervenir durant 10 années en faveur des personnes détenues. Devenir adjoint au Maire du territoire Nord d’Amiens, qui m’a vu grandir, m’engager et célébrer sans compromis ma double culture : capverdienne et française. Devenir agent sportif pour accompagner la carrière de footballeur d’ici et d’ailleurs. Devenir le père de deux filles. Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir encore tant de ponts à construire pour façonner le progrès de ce monde en devenir.

Dans quelles circonstances votre engagement en politique a-t-il commencé ?

Initialement, mon engagement politique est en réaction à une désillusion et une déception. En 2006, j’avais 22 ans et j’avais réussi plusieurs concours d’entrée en école supérieure de commerce. Mais il fallait trouver un moyen de payer les frais de scolarité exorbitants. Un ami de mon quartier était dans le même cas. Nous avons sollicité un élu de notre territoire. Elu PS depuis 1985, il a utilisé notre situation pour se faire de la publicité dans la presse en vantant son action pour mais sans jamais nous aider.

Déçu, je me suis promis de me présenter aux élections suivantes (en 2008) pour l’affronter car pour moi, il fallait des élus qui agissent concrètement au nom de l’intérêt public et notamment des plus fragiles. J’ai perdu mais j’ai appris. Et j’ai surtout découvert une vocation.

C’est le Centre qui vous a tout de suite inspiré ? 

J’ai commencé à me construire politiquement. Alors que la politique française était dominée par les deux blocs de la gauche et de la droite, je me suis engagé au Modem présidé par François Bayrou. J’ai adhéré à son message de recherche d’efficacité politique en prenant les meilleures idées de la gauche et de la droite.

Après plusieurs campagnes électorales, j’accède à mon premier mandat d’élu en 2014, lorsque l’équipe menée par Brigitte Fouré (UDI) remporte la ville d’Amiens. En 2017, j’ai été heureux que François Bayrou apporte son soutien à son cadet qui portait les mêmes idées, Emmanuel Macron.

 

Quelles relations entretenez-vous personnellement avec le pays de vos parents et avec le continent africain de façon générale ?

J’ai grandi avec mes grands-parents qui ne parlaient pas très bien le français. J’ai donc été baigné durant toute mon enfance par la culture capverdienne. Nous mangions quotidiennement les plats capverdiens, nous parlions le créole portugais. Nous écoutions le Funana, le Batuque, la morna, la Kizomba, etc., toutes des musiques du pays de Césaria Evora. Par ailleurs, une grande partie de ma famille vit au Cap-Vert.

Je n’ai découvert ce pays qu’à 21 ans en 2005 mais depuis cette date j’y suis retourné très souvent et spécialement pour mener des projets humanitaires pour améliorer les conditions de vie de la population la plus pauvre. Accès à l’eau, à la santé, à l’éducation et à l’habitat digne. En 2015, j’ai été au Forum mondial de l’eau en Corée du Sud pour recevoir une distinction d’une branche de l’ONU.

Après le séminaire de Paris en juillet 2019, vous avez pu poursuivre les rencontres avec des personnalités influentes cette fois à Accra au Ghana. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ? 

Finalement ce sont les rencontres avec mes homologues young leaders qui viennent de nombreux pays d’Afrique. Leur parcours est exceptionnel. Ils ont partagé la vie menée dans leur pays, les difficultés mais aussi l’espoir qu’ils nourrissent d’un avenir meilleur sur ce continent. Nous avons partagé nos domaines d’actions et nous avons travaillé lors des deux séminaires sur des projets communs notamment sur la thématique de l’éducation.

Nous avons choisi Accra car ce programme est aussi sous le haut patronage de Nana Akufo Addo, le président du Ghana. D’autre part, il était important de s’ouvrir aux pays africains anglophones. J’ai beaucoup aimé cette découverte d’Accra et les rencontres avec les acteurs dynamiques de la ville. J’ai senti une vraie envie d’avoir un impact positif sur le pays.

Selon vous, en quoi ce programme peut-il faire avancer l’Afrique ? 

Les fondateurs de la fondation partent du principe que vu la proximité de la France (Europe) et de l’Afrique, ces territoires partagent un avenir commun et interdépendant. La France ne peut réussir que si l’Afrique réussi aussi. Et inversement, si l’Afrique n’affronte pas ses défis avec succès, la France et l’Europe échoueront avec elle. Ils parient aussi sur une nouvelle génération de leaders africains et français qui partagent la même vision et la même envie d’être des facteurs de changement et d’actions pour relever les défis économiques, sociaux et politiques.

Quel rôle doit jouer la diaspora dans les relations France-Afrique ?

La diaspora doit s’impliquer sur les deux rives et jouer un rôle clé pour faire le pont entre la France et le pays d’origine. D’abord en France, de nombreux jeunes de la deuxième et troisième génération de l’immigration n’ont pas les mêmes chances. La diaspora doit se prendre en main pour accompagner les politiques publiques pour permettre d’assurer une réelle égalité des chances…

Ensuite, parmi la diaspora, certains font le choix d’aller vivre dans le pays de leurs aïeux pour apporter leur expérience et leur connaissance. C’est une bonne chose. Il faut l’encourager et aider ces « repat » à réussir cette installation.

Enfin, pour citer le président du Ghana, si l’Afrique se développe et devient fort, ce sont tous les africains y compris ceux de la diaspora qui bénéficieront d’une meilleure image. Car il est vrai, l’image de pauvreté et de problèmes insolubles nuit au continent comme aux enfants d’origine africaine qui sont en occident.

N’y-a-t-il pas le risque d’être incompris par les Africains ? D’être perçus exclusivement comme représentants de la France ?

La fondation a le défi de se faire comprendre et d’expliquer ses objectifs. J’ai eu des commentaires très positifs sur les ambitions de la fondation mais d’autres ont eu peur que ce soit une réminiscence de la France-Afrique d’antan. Mais ce n’est pas le cas !

Quand on connaît la volonté du président Nana Akufo Addo de sortir l’Afrique de la dépendance de l’Europe, quand on entend son discours d’émancipation, quand on lit ses déclarations économiques, on ne peut avoir de doutes sur les objectifs de la fondation qu’il soutient directement. Par ailleurs, les young leaders sont surtout des jeunes d’Afrique qui sont les premiers à veiller sur la mise en œuvre d’un projet win-win. Et ce qui me concerne, ce programme m’offre – pour une fois – l’occasion d’assumer ma double culture et ma double appartenance. Je ne pourrai accepter d’être simplement un agent de la France. J’aspire à ce que ces deux territoires collaborent dans une relation saine et équilibrée.

Selon vous, est-ce que la stratégie actuelle de la France pour la refondation des liens avec l’Afrique est gagnante ?

A regarder les chiffres économiques et la qualité des relations des dernières décennies, la France a perdu du terrain si on compare avec la Chine, la Turquie, etc. Mais pour autant, le continent Africain n’est pas encore gagnant. Emmanuel Macron, jeune président français, a la chance de n’avoir aucun lien ni aucune responsabilité des relations passées avec les pays africains. Délesté de cette histoire pesante, il regarde vers le futur en liant l’essor de l’Europe à son voisin du sud. A regarder ses discours et ses actes, je peux affirmer qu’il considère les dirigeants africains et souhaite la prospérité du continent car elle sera bénéfique à l’Europe. Pour moi, il a une bonne approche.

Le 11 juillet 2019, le président Macron a convié 400 représentants de la diaspora africaine à l’Elysée. Il est le premier président français à l’avoir fait. Les intervenants ont eu positions et des questions franches et incisives à l’endroit du président français. Le président Ghanéen a aussi eu un discours sans ambiguïté.

Et il est vrai qu’il reste beaucoup à faire pour changer les mentalités des politiques comme des citoyens français. Il y a un mindset à changer. Il faut bousculer les mentalités et renouveler le paradigme.

Concernant l’Afrique, il y a une génération de chefs d’états leader avec une vision très intéressante. Des pays africains sont vraiment dynamiques.  Je pense au Rwanda, le Nigéria, le Ghana, l’Afrique du Sud et le Cap-Vert entre autres. Mais selon moi, il faut certes des gouvernements forts mais aussi des pouvoirs locaux et notamment des villes avec une vision et une capacité de décision pour faire face au défi démographique  et d’urbanisation massive.

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