A la fois designer, architecte d’intérieur, artiste et plasticien, Hicham Lahlou, quadragénaire marocain, est avant tout un passionné de l’art et de l’Afrique. Deux passions qu’il a réunies autour d’une plateforme, Africa Design Award & Days (ADA & ADD), qui met la lumière sur le savoir-faire et les talents du continent. Seul Africain à siéger au sein du conseil d’administration des directeurs élus de l’Organisation Mondiale du Design (WDO), il a co-signé “Génération Africaine – La Force du Design”, une invitation à la découverte de la force créative du continent, à travers les œuvres d’une cinquantaine de designers made in Africa.
Par Bilkiss Mentari
Difficile de le définir comme de l’interrompre. « Je suis connu comme un footballeur, dans l’avion, des gens me contactent sur les réseaux sociaux pour me dire qu’on a parlé de toi à Tokyo ! Je n’arrive pas à y croire. Ça me dépasse totalement… » Et pourtant, difficile de le manquer. Déjà, parce que Dame nature l’a fait grand, mais surtout parce qu’Hicham Lahlou est un tchatcher, un passionné. Dans le hall d’un hôtel 5 étoiles, sur la tribune lors d’une conférence internationale, ou dans le café du coin, ce quadragénaire marocain, designer à la renommée internationale, échange avec tout un chacun avec la même aisance, le même bagou. « Que je sois face à un ministre ou un commerçant, je tiens le même discours, je suis quelqu’un de direct. » Un trait de caractère qui lui vient de son enfance, à Rabat. « J’ai toujours été un peu à part, petit mon père m’appelait le rebelle, confie-t-il, sourires aux lèvres. Très tôt, quand j’ai commencé à voyager avec mes parents, je me suis intéressé à l’histoire, la culture, l’art. Et j’ai commencé à poser des questions sur le monde qui m’entoure. Puis, après le divorce de mes parents, j’ai demandé à aller en internat, pour me rapprocher de mes cousins à Casablanca. Le fait d’être fils de divorcé, d’être autonome si jeune, m’a endurci, tout en me donnant une certaine sensibilité. » Ce qui forgera son parcours.
« Dans mon pays, il fallait être médecin, avocat, moi je voulais être différent, et j’ai tout fait pour l’être. »
Qui démarre à Paris, par une école d’art. « Quand ma mère est allée en France. Je l’ai suivi. Au lycée, j’étais plus attiré par le français, la littérature, le théâtre, tout ce qui était lié à l’art. Je ne voulais pas être dans le conformisme. Dans mon pays, il fallait être médecin, avocat, moi, j’aimais ce que les autres n’aimaient pas. Je voulais être différent, et j’ai tout fait pour l’être. » Alors quand il a fallu faire des choix d’orientation, il opte pour des études d’art. « Je me suis intéressé au secteur du design. J’ai trouvé ça tout de suite passionnant. Là j’ai compris : je veux être designer international. Et je vais tout faire pour y arriver. Je n’avais pas d’attaché de presse, ni d’agent, j’ai appris à me vendre, en parlant du design. J’ai ensuite travaillé en tant que freelance avant de rentrer au Maroc. »
Entre temps, c’est l’aventure américaine. Une période marquante de sa vie. « En 1999, c’était l’année du Maroc en France, j’ai exposé à l’Institut du Monde Arabe à Paris, c’est là où j’ai été repéré pour la première fois. Mais tout n’était pas encore gagné. J’ai commencé à chercher du boulot, ce n’était pas facile. Mes cousins étudiaient aux États- Unis, ils m’ont dit : Viens, c’est le moment ! Alors j’ai préparé mon voyage, j’ai envoyé des emails avec mon CV. C’était en 2004, je ne parlais pas l’anglais, mais dès que je suis arrivé, j’ai vu la différence : j’appelais d ‘une cabine téléphonique et on me proposait tout de suite des RDV ! Ils voyaient ce jeune marocain débarquer, ils étaient fascinés. Tout ce que j’ai fait à ce jour, c’est grâce à cette année 2001 passée aux États-Unis. Quand tu arrives, Marocain, jeune, sans rien, et qu’on t’ouvre les portes, ça te montre que tout est possible. »
« Au lieu de faire appel à des designers étrangers, pourquoi ne pas mettre en avant les artistes tunisiens, maliens, sénégalais, qui créent de la valeur locale, des PME qui créent des richesses ? »
Puis c’est le retour aux sources. Le Maroc. A une époque où le métier de designer n’est pas encore assimilé. « Quand on disait architecte d’intérieur, on pensait décorateur. Alors que dans le design, il y a de la stratégie. Si Apple est le géant mondial, c’est grâce au design, qui est le moteur de l’innovation. C’est toute une vision de l’entreprise. On pense la stratégie avant de la mettre en œuvre. Le design c’est faire usage de la matière au maximum avec les moyens qui existent aujourd’hui, la technologie. Simplifier l’usage de la voiture au maximum. On peut même parler de design dans la stratégie des États ! » Et lui, peut en parler pendant des heures. De design autant que de l’Afrique. Il a d’ailleurs réunit les deux en créant, en 2014, Africa Design Award & Days (ADA & ADD), pour mettre en avant les designers africains. « Je viens d’un continent, d’un pays, avec une histoire qu’il faut faire connaitre. Notre positionnement à l’international peut donner de la visibilité à des jeunes du continent. ADA & ADD vise ainsi à faire du Maroc le hub du design africain. Quand on parle de transformation de l‘Afrique, de secteur bancaire, de création d’emploi, le design intervient dans tous les aspects. Au lieu de faire appel à des designers étrangers, pourquoi ne pas mettre en avant les artistes tunisiens, maliens, sénégalais, qui créent de la valeur locale, des PME qui créent des richesses ? »
Une référence sur la scène internationale du design
Ce qu’il fait, à travers sa nouvelle société, l’agence de design global Hicham Lahlou Designer (HLD) 1852 & Co, « une référence à l’histoire et à la voiture», fondée en 2008. Considéré par ses pairs comme l’un des fers de lance du design contemporain au Maroc, il est aujourd’hui une référence non seulement sur le continent mais sur la scène internationale du design. Grâce à sa touche particulière, imprégné de son bagage et de son intérêt pour l’histoire et les autres. Il créé des lignes de mobilier urbain, signe des concepts pour les hôtels, illustre son talent d’artiste, architecte d’intérieur, designer produit et graphiste dans l’identité de marque, le packaging, mais aussi l’architecture commerciale ainsi que le design stratégique. Jusqu’à apporter sa signature à des collections de grandes marques telles que DAUM, Ecart International, Daum, Lip, Aquamass, Airdiem, Nodus Rug… « L’Agence se développe. L’international se développe beaucoup, l’Afrique aussi en parallèle. On a des projets incroyables ! » Parmi lesquels, les gares LGV, Al Boraq, première ligne et train à grande vitesse d’Afrique ; le Kyriad Résidence Casablanca », 98 chambres & le lobby entièrement signés par Hicham Lahlou.
Exposés à travers le monde, Hicham Lahlou a acquis une notoriété qu’il utilise pour promouvoir l’Afrique et les designers africains. « En Afrique, le fait d’avoir exposé au Guggenheim de Bilbao et au Vitra Design Museum et que le Victoria & Albert Museum a acquis mon célèbre Narghilé Disco Pipe édité par Airdiem m’a donné une belle visibilité. Ce qui me permet de porter encore plus loin la plateforme des designers africains, qui appartient aujourd’hui à tout le monde. Je veux partager ma réussite. Je veux montrer que je ne suis pas tout seul à avoir acquis ce savoir-faire. On ne peut exister qu’avec les autres. J’ai la chance d’être un designer africain, et fier de dire que je ne suis pas tout seul. » Un engagement récompensé, alors qu’Hicham Lahlou célèbre ses 20 ans de parcours, en 2015, le somptueux Royal Mansour Marrakech organise en son honneur une soirée hommage le 9 décembre. En 2016, le 9 février l’Ambassadeur de France au Maroc, Jean-François Girault lui remet la prestigieuse insigne de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République Française en la résidence de France à Rabat. Et, reconnaissance majeure, l’Organisation Mondiale du Design (WDO) ™, l’ex-Conseil International des Sociétés de Design Industriel (Icsid), le nomme membre du nouveau conseil d’administration des directeurs élus, lors de 30ème Assemblée Générale au Centre de Conférences des Nations Unies (ITCILO) à Turin, en Italie, membre. Il est le seul Africain membre de cette organisation internationale.
« L’occasion pour moi de porter l’Afrique et la région Mena au sein de cette institution historique, une belle reconnaissance par mes pairs pour mon parcours et mon engagement dans le design en Afrique et à l’international »

Une opportunité également pour promouvoir la créativité made in Africa. « L’Afrique est un continent créatif et on peut parler d’une véritable Movida en ce sens. Ce qui est en train de se dérouler en Afrique laisse augurer un grand nombre de développements dans de multiples secteurs. Construction, développement durable, édification de projets structurants, façon d’appréhender la question des routes et des transports, des énergies, accompagnement de marques en devenir, accompagnement de manufactures, de structures artisanales et d’industries… Le Design a un rôle majeur à jouer dans le développement de l’Afrique, pour mieux anticiper le futur, ne pas reproduire certaines erreurs et construire des projets sur des bases cohérentes, respectueuses du territoire, de ses habitants, de l’histoire qui les lie à leur continent. En lien avec l’Organisation mondiale de design (OMD) « World Design Organization (WDO) », la plateforme Africa Design Days + Award est une initiative visant à porter haut les couleurs du design en Afrique. C’est aussi un moyen de permettre aux talents Africains de se faire connaître et de participer à l’élan du continent, grâce à leur créativité, leur bon sens et leur engagement citoyen. »
Convaincu que cette aventure ne peut être que collective, Hicham Lahlou a co-signé avec Mugendi K. M’Rithaa, deux autres figures du design africain, “Génération Africaine – La Force du Design” est une invitation à la découverte de la force créative du continent, à travers les œuvres d’une cinquantaine de designers. Paru au printemps dernier aux éditions “Langages du Sud”, c’est le premier opus dédié au design africain. « A travers mon expérience et ma connaissance du continent africain, en tant que designer, j’ai eu l’idée de réaliser ce projet dans le but de mettre en avant les différentes facettes du design en Afrique qui trouvent ses expressions dans la technologie, le digital, l’innovation l’artisanat, l’industrie et les arts de la table”. Soulignant au passage : « la création dans cette partie du globe est un incubateur de formes nouvelles et d’innovation ».
More info’s: www.hichamlahlou.com/ www.africadesignaward.org/ www.africadesigndays.org