Bercée par l’Afrique, grâce à ses parents, Ambre Jarno valorise avec Maison Intègre les artisans et stimule la création artistique africaine en lui offrant de nouveaux débouchés.
L’histoire d’Ambre Jarno avec le Burkina Faso, où elle a créé Maison Intègre, a commencé par une série de rendez-vous manqués. « Dès petite, le continent africain m’a été familier. Ma mère travaillait pour l’Afrique et m’a emmenée dans plusieurs pays. Mon père également a grandi en Côte d’Ivoire, et ses histoires, ainsi que celles de ma grand-mère et ma tante ont nourri mon imaginaire. Pour moi, il était évident que j’y retournerai. » Un pays est dans son viseur depuis toujours, le Burkina Faso. « Durant mes études, deux voyages ont été programmés mais malheureusement ils n’ont pas abouti. » En attendant, Ambre, une fois son diplôme en poche, un master en management des médias décroché à l’ESCP Europe, se met en quête d’un emploi. Elle tombe alors sur une annonce qu’elle ne peut manquer. « Canal + International recrutait pour un poste au Burkina. Je devais y aller. J’ai passé plusieurs entretiens. Finalement, ils m’ont fait confiance. A 24 ans, cette expérience m’a formée. Grâce à ce travail, j’ai vécu deux ans dans ce pays formidable et c’est ainsi que mon histoire avec le pays des hommes intègres a enfin démarré. » Et elle est loin de se terminer.
« Cela paraît facile à dire mais souvent les choses se font naturellement. Il suffit de suivre son intuition, de s’écouter un peu. »
A côté de son emploi à Canal +, pendant son temps libre, Ambre chine, rencontre et échange avec les artisans locaux. Elle collectionne des objets d’art, dessine des meubles qu’elle fait fabriquer pour décorer son intérieur. « J’ai toujours été très sensible à l’art et au design. Le Burkina Faso dispose d’une créativité peu montrée et valorisée. » Reste que sa mission dans le pays s’achève et elle est rappelée au siège de l’entreprise, à Paris où elle sera en charge de la communication et du marketing pour plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. L’occasion pour elle de voyager et de se familiariser avec la richesse culturelle de ses régions. « Ensuite, Canal + m’a proposé un autre poste mais j’ai démissionné pour fonder Maison Intègre dont le projet commençait à prendre forme. » Si Ambre n’avait pas forcément pensé à l’entrepreneuriat, celui-ci finit par s’imposer. « Cela paraît facile à dire mais souvent les choses se font naturellement. Il suffit de suivre son intuition, de s’écouter un peu. J’avais besoin de donner du sens à mon activité et valoriser mes découvertes. Tellement de talents, d’énergie, d’initiatives méritent d’être accompagnés. »
Lancé depuis à peine quelques mois, le concept de Maison Intègre s’articule autour de deux axes. « Le premier volet porte sur la sélection et l’édition de meubles et d’objets au Burkina Faso et plus largement à terme en Afrique de l’Ouest. Il s’agit surtout de valoriser le savoir-faire des artisans. C’est un travail d’échange et d’apprentissage. Il faut rappeler que la culture burkinabè repose principalement sur l’oralité. Le public peut admirer de beaux objets au musée des Arts Premiers du Quai Branly, en France, mais la transmission du savoir-faire, la fabrication artisanale d’un tabouret, ou le travail du bois se transmet en passant du temps avec des professionnels. Maison Intègre cherche à sortir les objets de leur contexte pour les intégrer dans des maisons contemporaines, en proposant aux artisans une nouvelle esthétique. Ainsi, le nom de ce projet repose sur l’intégration de l’art dans le quotidien mais se veut, bien sûr, aussi un clin d’œil au pays des hommes intègres. »
Pour la création d’objet design, officiellement lancée en juin dernier, Maison Intègre a conçue une première série d’objets en bronze. « Nous avons invité des designers français à travailler avec des artisans burkinabè. Une sorte de résidence pour qu’ils apprennent les uns des autres. Nous essayons une esthétique et un design différents mais toujours inspirés par des objets anciens, sélectionnés par mes soins. »
Renouveler l’artisanat
L’idée : inviter les artisans habitués à réaliser le même type d’objets, très souvent pour satisfaire un public de touristes occidentaux, à enrichir et à diversifier leurs créations. « Très souvent, l’artisanat ouest-africain répète les mêmes formes et les mêmes objets. Lesquels se retrouvent au marché artisanal de Ouagadougou sans que personne ne les achète. » Le déclin de l’attractivité touristique du pays, en raison de l’insécurité, pénalise l’artisanat local. « Il s’agit d’essayer de réfléchir à des productions originales. Nous avons par exemple travaillé sur une série de bougeoirs en bronze inspirés des lance-pierres et flûtes Lobi (une ethnie du Burkina). Nous essayonsde proposer des perspectives et des axes de création différents tout en conservant une technique ancestrale. »
Ainsi, intervient le second axe développé par Maison Intègre : la formation. « Un pan important de notre projet », souligne Ambre. « Même si pour l’heure nous travaillons sur une production limitée, nous essayons d’instaurer le processus de production sur place et de rendre autonome la production. Cela nécessite la formation d’artisans et d’assembleurs. » Et d’ajouter : « Maison Intègre se veut un projet collectif, avec plus de quarante personnes qui y travaillent depuis le début. A titre ponctuel, nous employons des couturiers, des tisserands, des antiquaires, des bronziers et des designers. Le défi est de pérenniser ses collaborations afin de disposer d’un atelier à part entière. »
En attendant de développer son projet dans la sous-région, « sa zone » selon ses termes, Ambre souhaite donc ouvrir un espace à Ouagadougou, où les artisans pourront être accompagnés, formés, et accéder à une autre clientèle à travers la mise en valeur de leur création apportée par Maison Intègre. « Le quotidien des artisans reste difficile. L’accès à la matière première demeure coûteux. Ils ne peuvent pas créer sans une avance. Le projet d’atelier prévoit, en salariant des artisans, de leur permettre de créer et d’explorer en cellule intégrée. Aujourd’hui, quelques bronziers ont été sollicités pour des commandes avec des Allemands. Ce sont encore des initiatives modestes. »
« Développer sa curiosité, l’ouverture vers les autres, et les alimenter »
Ces initiatives devraient se multiplier avec l’essor annoncé du marché de l’art, en plein renouvellement sur le continent, et grâce à l’exposition qu’offre Maison Intègre. « L’industrie créative de manière générale va prendre de plus en plus d’ampleur et se développer. Aujourd’hui, tout le monde a envie de faire différemment, de s’ouvrir à des modèles en rupture avec ses habitudes. Je pense qu’à partir du moment où un projet existe, il faut foncer, bien s’entourer et être à l’écoute de tout ce qui se passe autour de nous, développer sa curiosité, l’ouverture vers les autres, et les alimenter. Je reste convaincue que tout reste possible à condition d’être aidée. Mais le point de départ du succès réside dans cette curiosité, cet intérêt, cette envie de partager… Ainsi, on peut tout faire ! » Ce qui passe, selon Ambre, par « mettre les mains dans le cambouis… pour rester connecter ! »
Pour en savoir plus : www.maisonintegre.com