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Matières premières : Le Togo parie sur la transformation avec la plateforme industrielle d’Adetikope

Engagé depuis plusieurs années dans l’industrialisation de son économie, le Togo parie notamment sur une politique de transformation des matières premières avec la plateforme industrielle d’Adétikopé, vaisseau-amiral  de cette vision à long terme. Un projet ambitieux, pour lequel l’essai doit encore être transformé.

 Par Blamé Ekoué, à Lomé

Déterminées à transformer en profondeur l’économie togolaise- en augmentant notamment, de manière substantielle, la part du secteur manufacturier-, les autorités du pays ont engagé depuis plusieurs années des réformes en vue de s’engager sur la voie de l’industrialisation. C’est dans cette optique, et dans la droite ligne de son Plan national de développement  (PND), élaboré pour la période 2018-2022, que le Togo vient de lancer son premier parc industriel et logistique, appelé Plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA). Inaugurée le 6 juin par le président Faure Gnassingbè, cette zone industrielle au coût estimé à 130 milliards de francs CFA (230 millions de dollars US), sur un espace de 400 hectares, verra la mise en place de différentes unités de transformation des matières premières dans les années à venir.  Implanté dans la banlieue nord de la capitale togolaise, à l’emplacement d’un village fondé au XIXe siècle- Adetikope- le parc industriel offre tous les avantages pouvant attirer les investisseurs, tant nationaux qu’étrangers : guichet unique pour tous les services administratifs, espace industriel, commercial et logistique, avec un parking pouvant accueillir quelques 800 camions.

La PIA offre également toutes les garanties en termes de sureté et de sécurité aux investisseurs, et ce alors que le pays met les bouchées doubles pour capitaliser sur la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). De fait, la plateforme industrielle marque le point de départ d’une vision du développement axée sur la transformation locale des matières premières, marquant ainsi « un tournant décisif pour l’industrialisation du pays », selon  la cheffe du gouvernement togolais, Victoire Tomegah-Dogbé. La PIA accueille d’ores et déjà quelques unités de transformation depuis sa mise en activité cette année, et en escompte une douzaine de plus d’ici l’année prochaine, notamment dans les secteurs des cosmétiques, de l’automobile, de l’agroalimentaire et de l’industrie pharmaceutique.  

Engagées depuis 2010 dans une stratégie économique favorable aux formules de partenariats public-privé (PPP), les autorités togolaises ont travaillé d’arrache-pied avec le secteur privé pour la matérialisation de ce projet. Le pays ouest-africain, fort de son emplacement stratégique dans la sous-région, s’est ainsi allié avec Arise Integrated Industrial Platforms (Arise IIP), une joint-venture entre Africa Finance Corporation (50,5%) et le groupe singapourien Olam International Ltd (49,5%), et qui a déjà fait ses preuves au Gabon depuis 2010 en se basant sur le même modèle de PPP. Quant au capital social de la PIA, le Togo détient 35% des parts alors que son partenaire stratégique en possède 65%.  « C’est une excellente initiative et un formidable accélérateur de croissance pour un pays. Tous les bailleurs de fonds et investisseurs privés qui s’intéressent au développement de l’Afrique devraient encourager et reproduire [ce modèle]», juge Bruno Delaye, membre du conseil d’administration d’Arise IIP. Un plaidoyer parfaitement entendu par les pouvoirs publics togolais, qui pour tirer davantage profit de cette vision axée sur le modèle PPP, préparent un avant-projet de loi depuis septembre dernier.  

Créer de la valeur ajoutée

À l’origine de la création de la PIA, il y a un pari majeur : créer de la richesse et de la valeur ajoutée en misant sur une forte industrie de transformation locale. Pour y parvenir, les autorités togolaises pourront compter sur l’expertise de leur partenaire privé, Arise IIP, précisément spécialisé dans le développement de parcs industriels à haute valeur ajoutée sur le continent.  « Le Togo produit du  coton depuis des décennies, mais le pays exporte seulement le coton sous forme brute, avec peu de valeur ajoutée. Aujourd’hui, l’exportation du coton est de 60 000 tonnes et cela rapporte environ 75 millions de dollars. Désormais, PIA va se concentrer sur la transformation de ce coton brut en produit fini», a expliqué Gagan Gupta, P-DG d’Arise llP, au moment de l’inauguration du parc industriel. Agroéconomiste, Klutse Justin estime pour sa part «c’est le bon chemin que le Togo vient de tracer pour son industrialisation ». Et de poursuivre : « Le Togo, à l’instar de la Cote d’ivoire et du Ghana, exporte dans sa grande majorité le café brut alors qu’il pourrait tirer plus de profits en le transformant sur place. Je peux donner à titre d’exemple l’industrie du café où environ 90% du revenu total tiré du café africain va aux pays consommateurs d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie alors que tous ces pays producteurs pourront tirer plus de bénéfices si le café est transformé sur place »rappelle le spécialiste des questions agricoles. Mais au-delà de la mise en service de cette plateforme industrielle, qui devrait booster significativement le secteur secondaire, encore balbutiant, le projet va également contribuer à la création de chaînes à haute valeur ajoutée à travers le développement d’une industrie locale forte et structurée dans les secteurs agroindustriels. Sans parler des nouvelles possibilités d’exportation de produits manufacturés, qui généreront des revenus additionnels pour le pays.  

Générer des d’emplois 

Au final, grâce à ces différents efforts déployés, le Togo espère créer 500 000 emplois d’ici 2022, dans le droit fil des objectifs de l’actuel Plan national de développement. L’un des atouts du pays demeure son capital humain qualifié. Or, malgré le niveau de compétence globalement bon, une partie de la population active continue de faire face au chômage (6,47 % en 2020, selon les estimations de la Banque mondiale).  De ce point de vue, les différents acteurs qui se sont joints à l’initiative de la PIA pensent que celle-ci va contribuer, non seulement à créer de la richesse, mais plus encore, à générer des emplois au profit de la jeunesse. 

Zone commerciale

PDG de l’entreprise International Trading Company Rmg, dont la filiale Togo Clothing Company, spécialisée dans le textile, va implanter 750 machines à tricoter rectilignes au sein de la plateforme industrielle, Zahir Sait estime ainsi que son unité de production  « va générer des milliers d’emplois localement ». Selon le dirigeant d’entreprise, « l’accent sera mis sur l’autonomisation des femmes, une formation technique dans la fabrication de vêtements, le développement des compétences et la rationalisation de la chaine d’approvisionnement locale ». Au total, cette unité de transformation du coton local, dont la construction débutera en novembre 2021, devrait générer 23 milliards de francs CFA (40 millions de dollars) de valeur à l’exportation par an et environ 2000 emplois directs.  Quant à la PIA prise dans son ensemble, les autorités togolaises estiment que cette dernière pourrait, à terme, créer 100 000 emplois directs et indirects, dont beaucoup pourraient profiter aux femmes, sur des métiers industriels jadis réservés à la gent masculine.

Gérer le flux des ressources pour alimenter la plateforme

Reste un défi à relever, la disponibilité des ressources naturelles afin de faire tourner en continu les nouvelles unités de transformation de la PIA. Pour pallier tout manque de ces intrants importants, le pays a lancé une vaste campagne de restructuration de plusieurs filières clés tels que le café-cacao, le coton, le soja, le riz, l’anacarde et les produits ligneux. Dans certains cas, les anciennes plantations ont été remplacées depuis plusieurs années par de nouvelles, et ce avant même le lancement des activités à la plateforme industrielle. Autre mesure adoptée pour renforcer la transformation sur place, le Togo interdit, depuis juillet 2021, l’exportation de certaines ressources agro-forestières afin de faire la part belle aux unités de transformation locales, installées au sein de la plateforme. Les autorités ont aussi recruté et mis à la disposition des producteurs agricoles des  centaines de techniciens pour aider à l’amélioration de la productivité et la qualité de la production. De plus, sur le plan logistique, la plateforme va se doter d’un port sec, d’une capacité de 12 500 tonnes, et qui servira de porte d’entrée vers les pays de l’hinterland (Burkina Faso, Niger, Mali), ces derniers important en majeure partie des produits manufacturés. Et au-delà, les autorités ont revu à la hausse leurs ambitions afin de faire de cette plateforme un véritable hub industriel pour le Togo. «À terme, la plateforme industrielle d’Adétikopé s’étendra sur une superficie de plus de 1 000 hectares pour un investissement de 200 millions d’euros dans la première phase et un montant cumulé d’un milliard d’euros, en intégrant le coût des usines textiles », a ainsi rappelé la Première ministre togolaise, lors de son discours inaugural, le 6 juin. Une manière claire d’acter la volonté du pays de réussir son industrialisation. 

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