Président de la banque centrale du Maroc, Jouahri est aujourd’hui la première figure du système financier marocain. Riche d’une longue expérience entre fonctions politiques et financières, il est devenu presque une star dont les sorties médiatiques sont attendues et commentées. Portrait
Par Abdenabi ABOULAARAB
Un destin de banquier !
Né en 1939, comme si quelque chose le destinait à une carrière de grand banquier, il est entré en 1962 à Bank Al Maghrib (BAM), la banque centrale du Royaume, alors qu’il bouclait tout juste ses 23 ans. 41 ans plus tard, en 2003, il en devient le président, une consécration pour cet homme qui accumule derrière lui une carrière riche en couleur.
Une seule constance durant cette longue expérience, c’est d’avoir évolué tous le long de sa carrière dans le secteur public. Il en est devenu une sorte d’homme d’Etat chargé de gérer les finances du pays et de veiller sur son système financier, dont il a été l’un des bâtisseurs, sous le règne du feu Hassan II. Trois fois ministres, et surtout ministre des finances de 1981 à 1986, c’est lui qui avait piloté le programme d’ajustement structurel imposé au pays par le FMI. Au sein de cette institution, où il a gardé une réputation intacte, on s’en souvient comme celui qui a sauvé les finances du pays de la faillite.
Président de la BMCE, banque publique à l’époque, jusqu’à sa privatisation en 1995, il présidait en même temps le Groupement professionnel des Banques du Maroc (GPBM). Après l’arrivée du nouveau Roi Mohamed VI en 1999, il est nommé, 4 ans plus tard, en 2003, Wali de la BAM. 14 ans après, il semble toujours indéboulonnable de ce poste suprême, et rien ne présage de son départ comme cela avait été annoncé suite à l’échec de l’opération de libération du dirham qui était prévue pour le 30 juin dernier.
Réputation de compétence et d’intégrité
En 2016, alors que la compagne électorale des législatives battait son plein, Jouahri au nom de la BAM, la Confédération Générale des Entreprises du Maroc et le GPBM adressaient au chef de gouvernement un mémorandum alarmant sur la «grave» situation économique du pays. Accusé de jouer le jeu de l’opposition, Jouahri s’insurgait dans un rare moment de colère : « J’ai connu quatre Premiers ministres et chefs de gouvernement différents : Youssoufi, Jettou, El Fassi et Benkirane, et jamais la Banque centrale n’a changé sa méthode de travail, ni eu de calculs politiques. Nous œuvrons seulement pour l’intérêt du pays », a-t-il déclaré.
Ce qui sure est que d’aucuns ne remettent en cause la compétence de l’homme et sa fine maitrise des subtilités du système financier national et international. Une réputation confirmée récemment par le magazine américain spécialisé « Global Finance » dans rapport annuel « Central Banker Report Cards 2017 ». Etablissant un classement annuel des meilleurs gouverneurs des banques centrales dans le monde, Jouahri s’est vu décerné la note « A » (performance excellente), le plaçant au sommet de la liste, au même titre qu’une poignée de gouverneurs de banques centrales, à l’instar de ceux des Etats-Unis, de Taiwan et de l’Australie.
Turbulences en vue : libéralisation du Dirham
Aujourd’hui pourtant, ce beau parcours semble entaché par l’échec de la récente tentative de libéralisation du dirham marocain, qui a eu un impact négatif sur la crédibilité du pays et sa capacité à tenir ses engagements. Depuis, Jouahri est donné pour partant. En effet, cet échec a d’abord été pour beaucoup d’observateurs celui de son architecte, M. Jouahri, qui s’était engagé en personne auprès de l’ensemble des acteurs de ce processus, et devant l’opinion public, avec beaucoup de risque.
A coup de conférence de presse, il martelait que toutes les conditions étaient réunies pour une libéralisation maitrisé et réussie. Toutefois, l’heure fatidique arrivée, fixée au 30 juin 2017, la décision de libéralisation a été purement et simplement annulée, sans qu’aucune information depuis ne soit donnée sur un éventuel nouveau calendrier de libération.
Au lendemain de cet imbroglio, c’est un homme blessé, voire humilié, qui laissait exprimer sa colère, et qui lance une enquête contre ceux qui ont profité de la perspective de libéralisation pour spéculer contre la monnaie nationale. Un échec personnel pour celui qui régnait en père bienveillant sur un système banquier, qui semblait cette fois trahir sa confiance.