Economiste franco-béninois, Lionel Zinsou, co-auteur du rapport “Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France”, par ailleurs président de la jeune fondation franco-africaine pour la croissance, est un fervent défenseur du franc CFA. Celui qui est aussi président du fonds d’investissement PAI Partners nous explique pourquoi il porte la robe d’avocat pour le franc CFA.
Entretien
Quels sont les avantages du franc CFA ?
C’est un instrument qui possède tous les attributs d’une monnaie fonctionnelle et forte. Il a la confiance des marchés. Sa valeur et son inflation sont stables, ce qui permet de protéger l’épargne. Sa parité fixe et sa convertibilité illimitée avec l’euro offrent une sérénité dans le temps qui permet de prendre des décisions à long terme. Il est un facteur fort d’intégration régionale, que ce soit en zone CEMAC ou UEMOA. Enfin, ses institutions sont structurées et respectées. Il n’y a qu’à voir le nombre de ses représentants qui ont obtenu par la suite des postes au sein d’institutions internationales ou comme ministre dans des gouvernements africains.
Mais la force de cette monnaie est justement un des points de contention majeure. Sa valeur ne reflète pas la structure des économies de la zone et nuit aux exportations en renchérissant le prix…
Cet argument a longtemps constitué un point très fort en défaveur du FCFA. Il a d’ailleurs été relayé par des institutions multilatérales comme le FMI ou la Banque mondiale. Plusieurs rapports ont été rendus en ce sens dans les années 1990 et ont d’ailleurs abouti à la dévaluation de 1994. Mais cet argument est devenu dérisoire puisque l’euro a corrigé lui-même sa propre surévaluation. Aujourd’hui, un euro vaut 1,1 dollar. Une parité estimée comme normale. Quand au yuan chinois, depuis dix ans, il se réévalue chaque année au rythme de 5% par an contre l’euro et le dollar, et donc contre le FCFA. Les termes de l’échange FCFA contre yuan sont devenus beaucoup plus favorables aux exportations aujourd’hui. Et l’Afrique est d’ailleurs le seul continent à l’équilibre en terme de balance commerciale avec la Chine.
Mais beaucoup assurent que la surévaluation du CFA nuit à l’industrialisation des pays concernés ?
On peut rêver à une Afrique qui exporte des produits manufacturés…, mais cette Afrique n’existe pas encore. Elle existera, je l’espère, à l’avenir, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ceux qui prétendent qu’en manipulant la monnaie on aurait une industrie plus développée ont tort. La vérité, c’est que nous nous sommes spécialisés dans les matières premières. C’est le chemin qui a été choisi. Il faut être naïf pour penser qu’on développerait l’industrie simplement avec la monnaie. C’est en investissant dans l’industrie qu’on la développe. L’argument “monnaie faible entraîne industrialisation” est une absurdité. Il n’y a qu’à voir la structure des exportations du Nigeria ou du Ghana. Et si, depuis peu, l’industrie commence à se développer au Nigeria, ce n’est certainement pas parce que le naira (la devise nigériane, NDLR) est fort ou faible, mais parce que le pays a décidé d’investir dans l’industrie.
On reproche aussi au Franc CFA d’empêcher les Etats de mettre en place des politiques d’assouplissement monétaire qui permettraient de dynamiser leur économie ?
Mais qu’est-ce qui empêche la zone franc de mettre en place des mécanismes de type quantitative easing (assouplissement quantitatif, NDLR) ?
S’il advenait un problème de financement de l’économie, rien n’empêche d’engager une politique plus accommodante. Il suffit que les chefs d’Etat le décident, et les directeurs des banques centrales mettront en application ces décisions. S’ils ne l’ont pas fait jusqu’à présent, c’est simplement qu’ils estiment que l’économie est sur-liquide et n’en a pas besoin. Car en pratique, rien ne s’y oppose.
Un des arguments récurrents en défaveur du CFA est qu’il maintient les taux d’intérêt du crédit à un niveau trop élevé ?
Il peut y avoir en effet pour certaines catégories de crédit, comme le crédit à la consommation, des taux d’intérêt très élevés en zone franc, mais ils ne reflètent pas le taux d’intérêt du marché. En réalité, les taux d’intérêt ont baissé. Dans l’immobilier, ils sont aujourd’hui autour de 8/9 %. Si l’on prend en compte que la croissance du PIB est supérieure à 5%, ce n’est pas un prix prohibitif. En fait, le taux d’intérêt évolue en fonction de la concurrence entre les banques et non en raison du FCFA. Or, l’Afrique connaît actuellement une multiplication et une modernisation des banques qui entraînent, par le jeu de la concurrence, une diminution des taux d’intérêt interbancaires. Bilan : les taux d’intérêt de la zone franc sont aujourd’hui parmi les plus bas en Afrique.
Si le Franc CFA est une si bonne chose pour les économies de la zone, comment expliquez-vous que sur les quinze dernières années, le PIB par habitant des pays hors zone a augmenté plus rapidement que celui des pays de la zone franc ?
C’est une illusion d’optique. La Côte-d’Ivoire pèse pour près d’un tiers de la masse monétaire de l’UEMOA. La croissance dans ce pays a ralenti pour des raisons politiques à partir de 1999, et surtout depuis 2004 où elle est entrée dans une période de croissance nulle. Mais depuis 2012, la situation a changé. L’équilibre est rétabli et, désormais, la croissance dans la zone franc est comparable à celle des pays hors zone. Après, bien sûr, il reste des cas particuliers. L’Ethiopie est sortie de l’économie planifiée et se trouve dans une situation de rattrapage. Des économies en reconstruction après des périodes de guerre comme l’Angola, la Sierra Leone ou le Libéria ont connu fort logiquement des taux de croissance particulièrement élevés. Mais si on raisonne en terme de zones monétaires, quel que soit le type de devise et quel que soit leur taux de change, la croissance est globalement homogène en Afrique.
La critique du franc CFA n’est pas qu’économique, elle est aussi largement politique. Comment peut-on par exemple justifier que la France soit membre du conseil d’administration de l’UEMOA et de la CEMAC et qu’elle ait un droit de regard sur la gestion de cette monnaie qui n’est pas la sienne ?
C’est une question qui a énormément agité le monde intellectuel et qui a longtemps été le cheval de bataille des Anglo-saxons. A mon avis, c’est l’objection la plus forte contre le franc CFA. Pour moi, c’est un excellent instrument et, sur cette question, nous sommes majoritaires. Mais sur le plan politique et symbolique, il est clair que la position que je défends est minoritaire. Pourtant, il est assez facile de démontrer que les chefs d’Etat africains sont souverains, comme le sont les commissaires économiques. La Banque de France ne fait obstacle à rien, et d’ailleurs, pourquoi le ferait-elle ? Il est logique que, puisque la France offre une convertibilité illimitée, il existe une contrepartie. Cette contrepartie est que la France peut surveiller que la politique monétaire choisie reste relativement orthodoxe. Car, s’il apparaît une hyperinflation, une convertibilité illimitée deviendrait intenable pour elle. Le problème, c’est qu’il s’agit justement de la France, l’ancien colonisateur, et de son signe monétaire, le franc. Cela donne l’impression d’une perpétuation du système colonial. Mais ceux qui sont en colère contre le FCFA à cause d’une supposée perte d’indépendance, sont les mêmes qui trouvent normal que le dollar hongkongais ou le riyal saoudien soit en parité fixe avec le dollar américain. Une petite économie est vulnérable à tout mouvement spéculatif. Les pays de la zone rand sont de fait en parité fixe avec le rand sud-africain. Les couronnes suédoises et danoises font tout pour être en parité fixe avec l’euro. Vous ne pouvez pas courir un risque de change avec votre partenaire privilégié. Les gens croient à une survivance coloniale mais, au contraire, c’est un système extrêmement moderne. Peut-être d’ailleurs que demain nous aurons un intérêt à être en parité fixe avec le yuan et non avec l’euro. Il faut que les gens comprennent que nous ne sommes plus en 1853, à la création de la banque du Sénégal. Le monde a changé.
Le franc CFA n’a-t-il pas définitivement perdu la bataille symbolique quand il a choisi de garder la dénomination franc ?
Oui, c’était sûrement une erreur. Le question symbolique est importante. Et jusqu’ici, elle a été un peu négligée par les banquiers et les acteurs politiques. Quand je donne des conférences ou des cours devant des étudiants en Afrique, au bout de dix minutes, les élèves sont debout sur les tables le poing levé. Les opinions publiques ont un problème avec le FCFA. Il faut le prendre en compte. Tout le monde est content, sauf les opinions publiques. C’est pourquoi, il faut expliquer. Regardez les exemples mauritanien ou guinéen. Ces pays ont fait le choix de l’indépendance monétaire, mais ces tentatives se sont révélées des échecs. En réalité, leurs économies ont pâti de la faiblesse de leur monnaie et leur choix ne leur a conféré aucune indépendance ni marge d’action supplémentaire. Etrangement, ce n’est pas du tout la vision des opinions publiques. Pourtant, je vous l’assure, le pouvoir monétaire des pays de la zone franc est en Afrique.
Pensez-vous possible la réalisation, à terme, d’une union monétaire commune à toute l’Afrique de l’Ouest ?
J’y crois tout à fait. De plus en plus d’entreprises en Afrique de l’Ouest envisagent leur marché comme un marché de 300 millions de consommateurs. Le commerce d’un pays à l’autre se développe. Et si chacun s’industrialise, il se développera encore davantage. Alors, inéluctablement, se posera la question de la stabilisation du naira et du cedi (devise ghanéenne, NDLR) par rapport au franc CFA. Dans l’intérêt des économies de la région, il faudra stabiliser les parités entre elles et limiter les écarts.
Mais au sein d’une telle union, le Nigeria ne risque-t-il pas d’imposer ses vues à la manière de l’Allemagne en Europe?
Plus encore sûrement que l’Allemagne en Europe. Le Nigeria est encore plus important en termes relatifs par rapport à sa zone. La monnaie commune sera forcément, d’une façon ou d’une autre, une monnaie nigériane. Mais il est plus pragmatique d’envisager dans un premier temps une parité flexible entres ces monnaies, et viser une convergence de façon graduelle. On ne peut pas avoir de monnaie commune sans politique de convergence. Il faut d’abord passer par une étape où le système n’est plus livré à la variation de change, ensuite seulement viendront la libre circulation du capital, puis des marchandises.
Les dirigeants d’Afrique de l’Ouest se sont engagés sur une union monétaire à l’horizon 2020. Cette date est-elle raisonnable étant donné le nombre de blocages qui existent aujourd’hui entre anglophones et francophones ?
N’oubliez pas l’attraction formidable que représente un marché de 300 millions de consommateurs. C’est un moteur très puissant. On estime grosso modo qu’un marché unique en zone CEDEAO ajouterait entre 2 et 3 points de croissance pour chacun des pays de la zone. Après, dire si ça se fera dans 10 ou 20 ans, je ne sais pas, mais cette attraction finira par balayer tous les blocages.
Par Julien Wagner
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