Interview Zak Kedzi « Ce film n’est qu’une petite pièce du puzzle dessiné par le Hirak »
Le jeune réalisateur franco-algérien, Zak Kedzi, proposera son premier long métrage, Chroniques algériennes, gratuitement sur YouTube le 25 septembre prochain. Cette plongée dans une Algérie au cœur du Hirak (« mouvement » en français), se présente comme une série de rencontres et une photographie, partielle selon le réalisateur, mais authentique, d’une société algérienne en pleine révolution. Rencontre.
Propos recueillis par DBM
Avant de parler du film, pouvez-vous nous parler de vous ? Quel est votre parcours ?
Mon parcours est animé par l’écriture. J’ai d’abord commencé avec le rap au lycée, certainement parce que j’ai grandi en banlieue et le rap faisait partie de ma culture. À 19 ans j’ai arrêté l’école pour travailler, et de la même manière j’ai arrêté le rap pour me lancer dans les scénarios de bande dessinée. Puis je me suis essayé aux nouvelles et à la poésie. Je me cherchais encore à l’époque. En parallèle je travaillais dans l’événementiel, et j’ai été amené à assister à un tournage de film. C’est à ce moment-là que j’ai compris. J’avais 25 ans et j’ai quitté ce travail pour une licence de cinéma à Paris 1, Panthéon Sorbonne. J’en suis finalement sorti avec un master et dans la foulée j’ai signé mon premier court métrage. Et aujourd’hui, voici le premier long : Chroniques Algériennes.
Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Mes parents sont nés et ont grandi en Algérie. Moi, je suis né et j’ai grandi en France. Depuis deux ans déjà, je travaille sur l’écriture d’un film documentaire Chaâbi, au travers duquel je tente de répondre à une question : être franco-algérien, qu’est-ce que cela signifie ? Mais les événements politiques qui ont lieu là-bas ont tout bouleversé. Durant l’été 2019, ce Hirak, je l’ai perçu comme un appel. L’Algérie en finale de la coupe d’Afrique des Nations, c’était une évidence : j’ai mis de côté l’écriture et je suis allé sur place avec une petite équipe. Au début je partais simplement en repérage pour Chaâbi, mais j’ai été saisi par les évènements. Je vivais de l’intérieur un nouveau récit sans forcément le conceptualiser en tant que film. Ce n’était plus Chaâbi, c’était un autre film. Chroniques algériennes prenait forme.
Comment et dans quelles conditions l’avez-vous réalisé ?
Avec Chroniques algériennes, il fallait répondre à l’immédiateté de la situation. Il fallait que je sois sur place le plus vite possible. Le plus important c’était d’avoir une équipe avec moi et j’ai eu la chance d’être bien accompagné. Je travaille majoritairement avec les mêmes techniciens depuis mon premier court métrage. Nous avons tout fait sans budget du premier jour de tournage jusqu’à la fin de la postproduction. Donc je suis obligé de rappeler que jusqu’à aujourd’hui, tous ceux qui ont travaillé sur ce film n’ont pas été payé. Je remercie donc infiniment tous ceux qui ont cru en ce film, c’est grâce à eux qu’il existe aujourd’hui.
Quel est le message du film ?
Il n’y a pas de message. A travers mes films je tente d’exorciser des angoisses personnelles et parfois j’essaye de trouver des réponses. Je cherche, je creuse. Dans Chroniques algériennesje ne pense pas avoir voulu traiter la question du Hirak. J’ai simplement cherché à interroger naïvement les gens que je rencontrais. Je me laissais porter par leur sincérité immédiate. Au montage, j’ai souhaité affirmer mon point de vue sur cet événement par ma présence dans le film, en insistant bien sur le fait qu’il s’agit d’une vision personnelle. Ce film n’est qu’une petite pièce du puzzle dessiné par le Hirak. Mon point de vue doit être complété par des regards plus complexes et plus complets. J’ai hâte de voir des films qui jailliront de l’intérieur de l’Algérie.
Quand et comment sera organisée la diffusion ?
Le film sera diffusé en avant-première le vendredi 25 septembre prochain à 15h et à 23h (14h et 22h, heure algérienne) sur ma chaine YouTube. Le choix de cette plateforme est dû à la production particulière de Chroniques algériennes, à la situation sanitaire actuelle, mais aussi à mon désir de rendre ce film accessible rapidement aux Algériens. Fin septembre le film fera son Hirak sur internet, un vendredi du mois, accessible gratuitement pour tous. Alors bien sûr, ce choix est un risque pour le film. Il peut potentiellement porter atteinte à la vie du long métrage en festivals et même nous coûter une exploitation au cinéma. Mais c’est le choix qu’on a fait.
Quel est votre regard sur le Hirak ?
Mon regard sur le Hirak c’est ce film. Si j’avais eu le budget nécessaire je ne me serais pas cantonné à Alger. L’Algérie est grande et le Hirak a traversé tout le pays. Mon prochain film Chaâbi, sera un road movie documentaire qui traverse plusieurs villes algériennes. Peut-être qu’à la suite de ce film j’aurai un regard plus précis sur ce qu’il se passe dans mon pays d’origine. L’Algérie a traversé le colonialisme, la décennie noire, le peuple algérien a mené de nombreuses batailles. Je me trompe peut-être mais pour moi, le Hirak c’est une nouvelle lutte dans laquelle le peuple s’oppose à la corruption et tente de se réapproprier son pouvoir politique. Avant la crise sanitaire et le confinement ces luttes faisaient vibrer plusieurs pays dans le monde : Chili, Liban, Hongkong, Irak, en France, avec les gilets jaunes mais aussi dans les quartiers notamment par le combat d’Assa Traoré. A mon sens toutes ces luttes sont liées par une seule et même idée : ce n’est pas un président ou un gouvernement déconnecté de la réalité qui saura apporter une solution. Actuellement mon cinéma est traversé par mes angoisses identitaires. Je cherche des réponses. Et j’en ai assez de voir nos chers politiques français s’approprier cette grande question sur l’identité. Ce n’est pas à eux de décider ce que je suis. Je pense que je fais des films en partie pour cela.