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Interview Marc Hoffmeister « La taille des entreprises françaises, qui sont plutôt des PME, est plus adaptée aux entreprises africaines »

Près de 2000 dirigeants européens et africains étaient réunis pour les deux étapes africaines, de la 4ème édition des Rencontres Africa. La plateforme des rencontres d’affaires entre acteurs publics et privés du continent. Les PME tout particulièrement. Explications avec Marc Hoffmeister, Commissaire général et fondateur des Rencontres Africa. 

Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed

 

Pour leur quatrième édition, les Rencontres Africa retournent sur le continent. Expliquez-nous le choix de ces deux villes hôtes, Dakar et Casablanca ? 

Le choix de ces deux villes hôtes s’est fait très naturellement à l’issue des Rencontres Africa 2018. Afin de répondre au plus près aux attentes des dirigeants, nous avons interrogés l’ensemble des participants lors d’une grande enquête en octobre dernier et le Maroc et le Sénégal sont ressorties comme les destinations plébiscitées.

Un choix finalement évident compte-tenu des opportunités économiques actuelles dans ces deux pays. D’un côté, le Maroc reste un pays où les IDE sont en forte croissance, d’autant plus avec la récente modernisation du cadre réglementaire. De l’autre, le Sénégal qui entre dans la phase 2 du Plan Sénégal Emergent, celle du déploiement effectif des projets à travers tout le territoire.

L’accueil enthousiaste des acteurs institutionnels dans chaque pays, que ce soit l’APIX ou l’AMDIE, la qualité des infrastructures qui nous accueillent à Skhirat et Diamniadio, et les facilités d’accès nous ont confortés quant à la pertinence de ces choix.

 

Il y a une approche clairement business, vous vous présentez comme un marché ou une vitrine des entreprises françaises, est-ce que c’est assumé par les Rencontres Africa ?

Oui, en effet. Je pense que tous les acteurs viennent en mode projet. Ils ont tous à la fois des choses à proposer et d’autres à donner. Quand vous êtes un acteur économique, quand vous participez à ces rencontres, c’est pour vendre avant tout. Ensuite, il y a différentes manières de le faire. Et l’approche est importante. A la fois pour les entreprises françaises car il faut savoir donner pour recevoir, et à la fois pour les entreprises africaines, il faut qu’elles prennent conscience qu’il faut hausser le niveau par rapport aux entreprises française mais aussi être capable de prendre un certain nombre de risques. C’est entre les deux que se trouve la vérité. Et c‘est pour cela, que je suis persuadé que la taille des entreprises françaises, qui sont plutôt des PME, est plus adaptée aux entreprises africaines. Nous avons toute une vague de grands groupes du Cac 40 qui se sont implantés greenfield en apportant toute une armada avec eux. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de demandes de sociétés françaises qui cherchent des partenaires africains, parce qu’elles ne sont pas capables, elles, de lever une armada. Donc il faut qu’elles trouvent des partenaires de confiance. Cela a l’air tout simple alors que ça ne l’est pas. Quand vous arrivez à Ouagadougou, savoir quelle entreprise est fiable et laquelle ne l’est pas, ce n’est pas très simple. De plus il n’y a une différence de mentalité, une façon différente d’approcher les choses également un temps différent d’ailleurs, parce que nous n’avons pas la même conception des choses. Tout cela est très compliqué et il faut que chacun fasse des efforts. C’est pour cela que des manifestations comme la nôtre sont utiles, pour que ces deux mondes se rencontrent.

C’est à travers ce tissu de PME que la France peut se repositionner en Afrique, justement parce qu’elles jouent la carte du partenariat, du transfert de compétence, de la création d’emplois et de valeur ajoutée localement. Comment cette manifestation peut permettre à ces PME d’aller en Afrique, ce qui n’est pas évident pour elles, comme vous l’avez rappelé…

Nous sommes un organisateur de manifestations en premier lieu. Le problème, vous avez raison, est que le système d’accompagnement français sur l’Afrique est faible. Existant mais faible. C’est pour cela que des structures comme la Maison de l’Afrique sont intéressantes, parce qu’il peut y avoir des suivis. Ceci étant dit, il faut que chacun prennent ses responsabilités. Si un chef d’entreprise veut faire des affaires en Afrique, il va falloir qu’il y aille. Ce n’est pas parce qu’il a rencontré à Paris tel ministre qu’il ne doit pas se rendre sur place. Les entreprises françaises n’ont pas forcément besoin de qui que ce soit pour les accompagner. En revanche, elles ont besoin que des institutions, des chambres de commerce locales, des partenaires locaux, jouent aussi leur rôle de certificateur, c’est-à-dire, de tiers de confiance. C’est pourquoi nous travaillons beaucoup avec les chambres de commerce et autres partenaires locaux qui font ce travail de sélection. Même si le commerce reste avant tout une histoire d’hommes, avec un grand H, qui se rencontrent et se font confiance. Là-dessus nous avons un petit rôle à jouer : celui de créer ces liens de confiance.

Lors du dernier discours d’Emmanuel Macron aux ambassadeurs, où il a beaucoup été question de l’Afrique, le président a annoncé sa stratégie, articulée autour des 3D : Diplomatie, Développement et Défense. Avec un retour à la politique du don. Alors que les nouveaux leaders africains parlent de co-développement, avez-vous le sentiment que la France et l’Afrique parlent le même langage ?

Il ne faut pas attendre des pouvoirs publics en France de faire la politique des entreprises. Si les autorités françaises ont bien compris qu’elles étaient très en retard, que nous étions les mauvaises élèves de l’Union Européenne en matière de don, c’est déjà bien. En fait, cela sert à changer les mentalités. Nous ne sommes pas là que pour prendre. C’est un signal fort à ce niveau là. Ensuite, il faut resituer les choses : l’Etat fait de la politique publique ; les entreprises de la politique privée. Et les entreprises françaises n’ont pas besoin de l’Etat pour aller en Afrique.

Ceci dit, aujourd’hui tout le monde joue la carte de l’éco-diplomatie pour renforcer sa présence en Afrique. A commencer par la Chine comme nous avons pu le voir lors du dernier sommet de la coopération sino-africaine… 

Il n’a échappé à personne que nous ne sommes plus seul en Afrique. La présence de quasiment toutes les présidentes et tous les présidents africains en exercice à Pékin est un signe très fort. L’Afrique est devenue le réceptacle des investissements chinois en l’espace de dix ans, aujourd’hui elle est passée à la vitesse supérieure avec ce programme, c’est la nouvelle route de la soie. Mais des questions se posent aujourd’hui sur les méthodes chinoises appliquées sur le continent, avec une forme de rejet qui s’exprime.

Là où la France est très attendue, c’est au niveau du financement. Parce que, en l’occurrence, pour les entreprises françaises, il faut des garanties. Ce qui n’est pas simple parce que le système africain est faible en financement. Donc forcément les garanties viennent de l’Europe, voire de l’OCDE. Il y a des solutions mais les entreprises les connaissent mal. Il faut encore que les deux parties soient d’accord sur ces solutions, reste que les solutions européennes sont beaucoup moins chères que les solutions africaines, avec des taux d’intérêt à 10%. Les Chinois ne sont pas du tout dans cette approche. Ils financent des infrastructures qu’ils vont construire eux-mêmes. C’est du faux don, ce qu’on appelle le don lié.

L’objectif reste le même : connecter les secteurs privés, français et africains, mais aussi intra- Afrique ?

En effet, avec la phase opérationnelle de la ZLECAf, le commerce intra Afrique devrait connaître une croissance exponentielle. La CNUCED estime même à 33% la croissance du commerce sur le continent.

En conséquence, les Rencontres Africa se positionnent naturellement comme la place de business intra-Afrique. Les entreprises de plus de 30 pays africains sont attendues, mobilisées par notre réseau de délégués partout sur le continent.

De plus, pour les exportateurs Français, le Sénégal et le Maroc se posent aussi résolument comme la « porte d’entrée » vers le reste du continent. En attestent les projets structurants autour des deux ports de Tanger Med au Maroc ou de Ndayane au Sénégal. Commercer avec ces 2 pays, c’est donc s’ouvrir la porte de l’ensemble du marché Africain !

Quatre éditions. Le rdv se pérennise. Signe de l’intérêt qu’il a suscité. Quel bilan justement ? 

Cette 4ème édition est aussi le fruit de nos succès précédents ! Rendez-vous compte, avec 4800 entreprises inscrites et près de 300 journalistes présents pour la dernière édition en Afrique (à Abidjan, Tunis et Nairobi), les Rencontres Africa 2017 ont tout simplement été la plus grande manifestation économique jamais organisée en Afrique !

Pour l’édition 2018, cette fois organisée en France, ce sont 3 900 demandes de rdv business qui ont été enregistrées, plus de 150 conférenciers réunis et, à l’arrivée, 80% de satisfaction générale.

Les objectifs cette année sont en phase, avec 5000 participants attendus dont 600 décideurs européens et 4 000 participants côté Africain.

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