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Interview « Les acteurs ont désormais la boîte à outils pour bâtir et consolider leur démocratie »

A la veille d’une élection majeure au Togo, les journalistes Louis Keumayou et Jean-Paul Agboh Ahouélété, publient « Togo, une démocratie en construction ». Une invitation à analyser les enjeux de la présidentielle de février prochain à la lumière d’un évènement majeur de son histoire, la Conférence nationale souveraine de 1991. Explications avec Louis Keumayou.

 

Propos recueillis par DBM

  

Vous publiez « Togo, une démocratie en construction », co-écrit avec Jean-Paul Agboh Ahouélété dans lequel vous analysez une période phare de l’histoire de la démocratie togolaise, la Conférence nationale souveraine de 1991. Pourquoi avoir voulu travailler sur ce thème, cette période en particulier ? 

 

Dans la lutte pour la démocratie en Afrique, le cas du Togo est chargé de symboles. Le premier coup d’État militaire de l’histoire du continent africain a eu lieu au Togo. Dans une démocratie, le pouvoir ne se conquiert pas par les armes, mais par les urnes. Pourtant les militaires ont renversé le président élu, celui qui avait proclamé l’indépendance du pays en 1960. Sylvanus Olympio a été assassiné en 1963. Puis il y a eu la période d’exception, au cours de laquelle toutes les institutions avaient été mises en berne. Le pays était régi par les textes du parti unique, et non par une constitution. La Conférence nationale de 1991 permet au peuple togolais de sortir de ce tunnel et de reprendre une vie démocratique normale. La constitution issue de cette Conférence nationale est adoptée à une majorité soviétique. Les acquis démocratiques de cette période sont si importants que lorsque la révision constitutionnelle de 2002, opérée au terme d’une élection législative boycottée par l’opposition revient sur ceux-ci, le pays plonge dans une crise politique qui a duré 18 ans. L’opposition n’a eu de cesse d’exiger, durant tout ce temps, le retour à la constitution de 1992 qui garantissait la limitation du mandat du président de la République. Sur ce point précis, elle a eu gain de cause, puisque la limitation du mandat du président est réintroduite dans la constitution. Mieux, les Togolais de l’extérieur obtiennent le droit de vote, et la Cour constitutionnelle est créée. Il reste un point sur lequel une partie de l’opposition, notamment la C14 – une coalition de 14 partis qui a finalement implosé – n’a pas eu gain de cause, c’est la rétroactivité de la limitation du mandat. Elle aurait disqualifié le président sortant Faure Gnassingbé, qui est candidat à sa propre succession. La Conférence nationale est donc un moment charnière de la jeune nation togolaise. Les bases de sa démocratie ont été posées au terme de ce processus. Même si la gestion de ce processus n’a pas toujours été à la hauteur des espérances du peuple et des observateurs de la vie politique togolaise, le pays a réussi à se remettre dans les clous fixés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en matière de démocratie. Les acteurs ont désormais la boîte à outils pour bâtir et consolider leur démocratie.

 

D’autant que le livre paraît à quelques semaines d’une élection très attendue, la présidentielle de février au Togo. Ce n’est sans doute pas un hasard. Dans quelle mesure la période et le processus que vous analysez nous éclairent sur cette actualité ? 

 

Il n’y a pas de hasard dans la vie. Le livre ne couvre pas la seule période de 1991. Il s’ouvre sur les enjeux de la présidentielle du 22 février 2020. Nous parlons aussi des 26 rounds de négociations entre le pouvoir et l’opposition dont les résultats ont été mitigés, nous revenons sur le phénomène Tikpi Atchadam : le leader du Parti national panafricain (PNP), nous mettons à la disposition du lecteur une galerie de portraits des acteurs majeurs de la vie politique togolaise, et bien d’autres choses qu’ils découvriront en lisant le livre. Ce que nous essayons de démontrer, c’est à quel point la démocratie n’est pas un produit de grande consommation. Il n’existe pas de magasin physique ou en ligne qui vend une démocratie taillée sur mesure et sans défaut de fabrication. La construction et la consolidation de la démocratie sont des processus longs qui exigent une vigilance de tous les instants, car la moindre inattention peut leur donner des allures de châtiment de Sisyphe.

 

Finalement, peut-on parler de RDV avorté avec la démocratie en 1991 ? 

 

Non. La Conférence nationale souveraine de 1991 n’a pas été un échec. Elle a été un grand moment de démocratie qui a permis de tourner les pages sombres de l’histoire du pays. Elle l’a doté d’une constitution dont tous les acteurs de la vie politique n’ont pas immédiatement pris la pleine mesure. Il a fallu qu’une partie significative des acquis de la Constitution de 1992 soit abrogée pour qu’ils fassent de la défense de celle-ci une priorité absolue. Les politiciens ont échoué à sécuriser les avancées démocratiques. Cela ne signifie pas qu’elles n’ont pas existé. Elles ont simplement été mal défendues. Cela doit servir de leçon, pour que de tels reculs ne se reproduisent pas.

 

Depuis, la démocratie togolaise a poursuivi son processus de consolidation, avec les réformes intervenues récemment… 

 

Alors que dans la plupart des pays, y compris ceux qui étaient considérés comme des modèles de démocratie en Afrique de l’ouest, les changements de constitution sont opérés pour permettre au président sortant de bénéficier du déverrouillage de la limitation des mandats, la modification de la Constitution togolaise limite ceux du président en exercice. L’opposition n’est pas entièrement satisfaite des réformes survenues. Ce faisant, elle est dans son rôle. Elle en veut plus. Son attitude lui permet-elle d’obtenir mieux ? L’avenir seul nous le dira.

 

Pour conclure, quel regard portez-vous,  à la lumière de vos travaux, sur ce scrutin que vous qualifiez de « majeur » dans l’histoire de la jeune démocratie togolaise  : si sur le plan économique, et notamment macro-économique, le Togo brille, soutenu par les bailleurs de fonds, le président actuel qui brigue un 4ème mandat, est contesté par l’opposition et une partie de la population qui aura manifesté, à plusieurs reprises, ces derniers temps, son mécontentement…

 

Nous ne sommes pas les seuls à considérer que l’élection du président de la République est un scrutin majeur dans un régime présidentiel. Si l’opposition ne boycotte pas cette élection, alors qu’elle a boycotté les législatives, c’est qu’elle doit lui accorder une certaine importance. Cela dit, la politique est très ingrate. Les résultats ne suffisent pas. Surtout pour un président auquel il est reproché d’avoir hérité du pouvoir de façon dynastique. Les conditions dans lesquelles Faure Gnassingbé n’étaient pas idéales. Son père venait de décéder, le pays était fortement abîmé par l’embargo de l’Union européenne (UE), et la crise sociopolitique était à son paroxysme. Quinze ans après, le Togo ne présente plus du tout le même visage. Ses performances économiques sont unanimement saluées. Comme en France où les Gilets jaunes manifestent sur un air de « Fin du mois et fin du monde : même combat », pour montrer à quel point ils ne profitent pas des fruits de la croissance, il y a des couches entières de la population togolaise qui considèrent que la croissance économique de leur pays n’est pas inclusive. L’élection de février ne va pas résoudre ce problème. En revanche, elle va servir à désigner celui qui créera les conditions pour que le mieux vivre ensemble et l’inclusivité dans tous les domaines de la vie publique deviennent une réalité dans le quotidien des Togolais.

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