Interview Idrissa Diabira « Le principal enjeu de l’élection 2019 réside dans la poursuite ou l’arrêt de la voie empruntée par le Sénégal vers l’émergence »
Il incarne cette nouvelle génération de leaders africains. Franco-malo-mauritano-sénégalais, ancien coopérant français, Idrissa Diabira a fondé l’agence Interface pour faire le lien entre les acteurs publiques français et ouest-africain avant d’accompagner Macky Sall pendant sa première campagne et finalement s’installer à Dakar. Aujourd’hui, DG de l’ADEPME, il analyse, pour ANA, les enjeux de l’élection de 2019 au Sénégal alors qu’il figure parmi les portes-paroles du candidat.
Votre parcours est insolite. Comment un jeune du « 93 » arrive-t-il à la tête d’une agence stratégique du Sénégal ?
En ne m’interdisant aucune station à priori du fait de ma naissance ou de mes origines sociales, au contraire. En classe de seconde au lycée Delacroix à Drancy (93) je me souviens d’un cours où notre professeur d’économie voulait nous convaincre que nous n’échapperions pas à la loi statistique qui disait que 80% des enfants restaient dans la même catégorie socioprofessionnelle (CSP) que celle de leurs parents. Je pensais cette assertion fausse car ne prenant pas en compte les vrais ressorts de la réussite. Pour moi, fils d’éboueur, émigré paysan de la vallée du fleuve Sénégal, il était inconcevable que des portes restent closes du fait de ma naissance ou de mon lieu de résidence. Au contraire c’est de mes origines que je décidais de puiser ma force. C’était aussi la conviction de mes parents qui nous répétaient que rien ne nous était exclut si nous avions la foi en Dieu et que nous étions travailleurs et persévérants. Nous y avons cru. Sylma, l’ainé de la famille l’a le premier démontré. Il rêvait jeune et tout haut de devenir médecin, les statistiques disaient que c’était quasi-impossible. Mes parents l’ont soutenu. Il y a cru et est devenu neurochirurgien. Le reste de la fratrie de 7 enfants dans son sillage n’avions plus qu’à suivre ses pas. Moi je rêvais d’œuvrer au développement d’un continent que je découvrais chaque fois émerveillé à l’occasion des grandes vacances scolaires. J’ai donc poursuivi des études en physique fondamentale à Orsay, dans le pétrole à Stanford puis en sciences de gestion à Dauphine, j’ai fait du conseil en système d’information, je me suis impliqué dans les ONG et dans la diaspora et dans ma communauté bref j’ai construit une grille pour penser le développement et aussi pour agir à le mettre en œuvre.

Pourquoi, après avoir sillonné l’Afrique de l’Ouest, avoir fini par poser vos valises au Sénégal ?
Certains lieux se prêtent mieux à la poursuite de ses rêves. Plusieurs pays pouvaient correspondre à ma quête de développement. J’ai toujours œuvré à ce que cela se fasse dans l’un des pays de la zone dite des trois frontières dont mes parents Soninké sont originaires à savoir le Mali, la Mauritanie ou le Sénégal avec lesquels j’ai des liens affectifs intimes. Après avoir servi au Mali durant trois ans j’ai fondé mon cabinet privé d’intelligence économique à Bamako pour intervenir principalement dans la sous-région. La rencontre avec Macky Sall en 2010 a ensuite été déterminante. Je coordonnais la conception de son programme de campagne « le chemin du véritable développement », « yoonu yokkute » en wolof, devenu Plan Sénégal Émergent (PSE). Nous avons gagné la bataille des idées avec ce programme en répondant à l’aspiration du peuple pour le développement, cela a logiquement contribué à ce que nous remportions ensuite la bataille des urnes en 2012. Je ne pouvais pas ne pas accepter l’invitation du Chef de l’Etat à prendre part à la grande bataille de la mise en œuvre d’abord en tant que conseiller spécial du Premier Ministre, ensuite en conseillant l’Administrateur Général du FONGIP enfin aujourd’hui en dirigeant l’ADEPME ou le bras opérationnel de l’Etat pour le développement des PME. J’ai donc posé en effet mes valises à Dakar la ville que mon père avait lui quitté avec les siennes en 1960 pour la France, le destin fait parfois ce genre de clin d’oeil…
Vous connaissez bien Macky Sall en effet pour l’avoir accompagné pendant la dernière campagne présidentielle. Quel bilan dressez-vous de son mandat ?
Vous savez la politique a pour vocation à changer les choses, d’améliorer le quotidien des plus démunis et de donner de l’espoir en l’avenir. C’est ce qui m’a conduit à m’engager auprès de Macky Sall. J’avais la conviction que son programme ne serait pas qu’une promesse mais bien un engagement à changer les choses dans la durée et aussi à prévenir des périls. En 2011, quand nous l’avons amené à l’IFRI, dans une analogie à la géologie il prédisait les futures profondes turbulences du Sahel et il annonçait vouloir inscrire sa politique diplomatique et de sécurité comme celle d’un « craton diplomatique » ou pôle de stabilité. Ces engagements auprès du peuple, il y tient et il les tient. Le Plan Sénégal Emergent (PSE) a montré des résultats remarquables notamment dans l’idéal qu’il poursuit d’un Sénégal pour tous.
Les jalons de politiques publiques à vocation universelle sont bien posés dans les secteurs stratégiques de l’électricité, de l’agriculture, de l’eau, du désenclavement, de l’entrepreneuriat, de l’aménagement urbain, de l’enseignement supérieur notamment. Les réalisations du régime de Macky Sall entre 2012 et 2019 sont de 2 à 5 fois supérieures à celles réalisées durant soixante ans du Sénégal indépendant à 2012. Les agrégats macroéconomiques parlent d’eux-mêmes avec une croissance à plus de 6% depuis plus de 4 années consécutifs. Ces performances sont inédites depuis plus de 40 ans au Sénégal, la nouvelle trajectoire de croissance est une réalité.
L’une des illustrations les plus éloquentes se trouve certainement dans la politique de protection sociale. En 2011 beaucoup moquaient ce volet de notre programme et son ambition de couvrir le risque de l’extrême pauvreté dans un pays comme le Sénégal, il s’agissait d’une hérésie pour certains. Nous avons permis à 400 000 familles démunies de bénéficier de la Bourse de Sécurité Familiale construit et un filet social inédit en Afrique sub-saharienne. Mieux nous couvrons mieux le risque maladie avec 50% de la population protégée grâce à la couverture maladie universelle (CMU) contre 20% en 2012. En somme le modèle social sénégalais se transforme profondément sur le paradigme de l’égale dignité des citoyens, rural ou urbain, homme ou femme.

Macky Sall vise aujourd’hui un second mandat. Quelles sont ses chances ?
Macky Sall est le grand favori à sa propre succession en février 2019 d’autant plus que le peuple sénégalais est toujours très avisé sur les véritables capacités des prétendants à la magistrature suprême. Depuis 2012 chaque scrutin a été largement remporté par la coalition présidentielle notamment les dernières législatives en 2017 et le référendum de 2016. Le rapport de force est clairement en sa faveur et la coalition qui le soutient s’est maintenue et consolidée. Même si chaque élection est un rendez-vous singulier avec sa propre vérité, je suis confiant car l’offre alternative de l’opposition reste très pauvre, elle oscille entre nier contre toute évidence les progrès réalisés sous Macky Sall et plagier sans l’admettre la politique mise en œuvre. Malgré les invites du Chef de l’Etat l’opposition a toujours refusé le débat sur le développement économique et social ce qui est révélateur.
Quelles sont les enjeux de cette élection dans un contexte marqué par de nombreuses affaires judiciaires (Khalifa Sall en prison, de même que Karim Wade, etc) ?
Le principal enjeu réside dans la poursuite ou l’arrêt de la voie empruntée par le Sénégal vers l’émergence, c’est aussi simple que cela. Un travail remarquable a été accompli mais parvenir à l’universalité des politiques publiques celle de l’habitat, de la protection sociale ou de l’entrepreneuriat requiert constance dans l’effort et la mise en place de mécanismes complexes et innovants de financement dont certains ont déjà été implémentés mais qui doivent désormais passer à l’échelle. La soif énorme et légitime de développement du peuple sénégalais doit être assouvie, les défis restent colossaux et la croissance à 2 chiffres est une nécessité pour faire durablement reculer la pauvreté. Nous sommes sur cette voie et les partenaires techniques ne s’y sont pas trompés lors du récent groupe consultatif de Paris en décembre 2018. Leurs engagements sont 4 fois supérieurs à ce que nous attendions. La stratégie de diversion d’une certaine opposition qui entend politiser les décisions de justice pour masquer ses faiblesses est vaine. La justice sénégalaise est indépendante, que les mises en cause exercent leur droit de recours jusque leur terme mais qu’ils sachent ensuite accepter les décisions même quand in fine elles leur sont défavorables.
Vous l’avez évoqué, le Sénégal avance sûrement vers l’Emergence. Quels sont les défis à venir pour vous et votre agence l’ADEPME pour atteindre l’objectif?
L’engagement de 500 000 emplois créés a été respecté durant ce mandat mais ce n’est pas suffisant compte tenu du nombre de nouveaux entrants sur le marché de l’emploi chaque année et de la jeunesse de la population. La deuxième phase du PSE s’ouvre cette année 2019 avec le secteur privé qui doit en être le cœur et le nouveau moteur pour consolider la croissance générée par les investissements publics et créer les emplois pérennes nécessaires. Or ce secteur privé est à 99,8% composé de PME, et seul 3% sont formels c’est à dire disposent d’états financiers. C’est là le défi du Sénégal post-indépendance et des acteurs d’accompagnement financier et non financier en particulier. La réponse pour le relever est double.
La première consiste à asseoir un écosystème de confiance avec secteur financier privé en particulier pour parvenir à financer massivement les PME. Aujourd’hui c’est moins de 20% du portefeuille bancaire. L’ADEPME grâce à son outil de notation et de cotation « eRating » et son partenariat avec les experts comptables y parvient. Après le groupe panafricain Ecobank et certains fonds privés d’investissement, nous avons pu mobiliser 170 milliards de FCFA en octobre dernier, dont 15 dès 2018, pour 5 ans auprès de la Société Générale de Banques du Sénégal (SGBS), un groupe international de référence. Et ce n’est qu’un premier pas vers les 1 000 milliards de FCFA de ressources privés que nous comptons mobiliser au premier semestre 2019 pour la 2ème phase du PSE avec les membres de l’Association de Professionnels de Banques et Établissements Financiers (APBEF), les experts comptables, les assureurs et les fonds de garantie notamment. Nous y parviendrons grâce d’une part à notre capacité unique en Afrique subsaharienne à profiler le risque des PME sénégalaises à l’instar de la cotation de la Banque de France et d’autre part au nouveau « dispositif PME » de la BCEAO dont l’ADEPME est partie prenante qui permet de favoriser le financement bancaire.
Le deuxième réponse est notre capacité de construire au Sénégal un « entrepreneuriat universel » comme l’évoquait le prix Nobel Mohammed Yunus fondateur de la micro finance dans son ouvrage une économie à trois zéros. C’est possible, le Chef de l’Etat a créé une nouvelle Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide des jeunes et des femmes dotée de 30 milliards de FCFA par an de ressources publiques. Elle peut préfigurer ce nouveau droit, celui d’entreprendre. Si notre capacité à sélectionner, à gérer le risque de défaut, à accompagner et à suivre à l’échelle soit plusieurs milliers de promoteurs par an contre quelques centaines aujourd’hui. Notre dispositif sera alors complet il combinera un système dérogatoire d’incubation complémentaire à celui porté par le secteur financier privé. Nous disposerons d’un entrepreunariat universel et accompagnerons des futurs champions nationaux et sous-régionaux pour bénéficier des opportunités de secteurs porteurs du Sénégal.
En somme je me retrouve bien là au Sénégal au cœur de mon engagement pour le développement, convaincu d’être utile à préparer l’émergence du Sénégal et de l’Afrique.