Djibouti La renaissance
Plateforme commerciale, logistique et militaire régionale, hub technologique et financier, et par ailleurs champion de la diplomatie, Djibouti s’est imposée, en grande partie grâce à un complexe portuaire qui figure parmi les plus modernes du monde, comme un acteur majeur de la Corne de l’Afrique, au cœur des courants d’échanges entre l’Europe, l’Asie, l’Afrique et la Péninsule Arabique.
Par Dounia Ben Mohamed, à Djibouti
A quelques kilomètres de la capitale, une dizaine de chameaux, en file indienne, les bosses chargées de besaces, trottinent aux abord de la route qui rejoint la frontière éthiopienne. Une caravane qui renvoi au passé de Djibouti, historiquement un carrefour d’échanges commerciaux entre l’Afrique, l’Europe, l’Asie et la péninsule arabique. Même si ces convois traditionnels demeurent, les échanges ont depuis fort évolué. Le rôle de Djibouti, lui, en revanche, accordé par mère-nature à ce petit bout de terre_ 23.000 km² avec à pleine 1 million d’habitants_, coincé en la poudrière somalienne et le géant éthiopien, reste inchangé : au bord de la Mer rouge et du golfe d’Aden, idéalement placé sur le détroit de Bab al-Mandab, ce bras de mer qui contrôle l’accès au canal de Suez, aujourd’hui la 4e route maritime mondiale avec 30.000 navires par an par lequel transite 30 % du trafic maritime mondial, Djibouti se retrouve ainsi au cœur des courants d’échanges mondiaux. Et suscite tous les intérêts, à la fois pour des questions économiques et géopolitiques.

Convoité par les puissances coloniales, dont la Grande-Bretagne, elle deviendra finalement un territoire français, qui accueillera à la fois une base militaire française et les navires français en route pour la Chine, avant d’accéder à son indépendance en 1977. De là, au gré des évolutions régionales, l’apparition du phénomène de la piraterie maritime, le lutte internationale contre le terroriste post-11 septembre, les troubles en Somali puis au Yémen, le réveil du géant Ethiopien_ 90 % du trafic _, l’expansion chinoise sur le continent, l’attractivité de Djibouti se renforce. Le pays commence par accueillir une base américaine, suivront les Chinois, entre temps les Italiens, et Japonais, en attendant les Russes et les Turcs qui se rapprochent. Une singularité qui fait de Djibouti une base-État. Et alors qu’en 1993 l’Éthiopie fait de Djibouti son port de transit, participant à développer l’activité portuaire, principale source de revenus du pays avec la location des bases militaires(évalués à plusieurs dizaines de millions de dollars, en sus des prestations fournies aux sociétés), Djibouti s’impose comme le hub commercial et logistique régional. Avec une autre singularité : toujours pour sa position géostratégique, le pays accueille 11 câbles sous-marins, dont trois internationaux, devant de fait un hub technologique.
Un taux de croissance annuel de 6,5%
Mais avec un taux de croissance annuel de 6,5%, Djibouti, dont les autorités ont su habilement rentabiliser sur cette présence militaire étrangère pour renforcer leur influence sur la scène de la géopolitique internationale, devenu un « champion de la diplomatie » avec 45 représentations à l’étranger, une prouesse pour un micro-État, affiche désormais de nouvelles ambitions. Tout en confirmant son positionnement de hub logistique, grâce à un complexe portuaire qui figure parmi les plus modernes du monde, elles visent à établir le pays comme un pôle commercial, logistique, numérique et financier majeur de la région. Selon une stratégie déclinée dans la feuille de route Vision 2035, destinée à transformer le pays. Avec Dubaï et Singapour comme modèle, le pays entame sa mue.
En commençant par ses infrastructures. Selon une approche mer-terre-ciel, Djibouti s’est dotée de nouvelles infrastructures portuaires dont une nouvelle zone franche affichée comme la plus grande du continent, avec une activité qui ne se limite plus au simple transit mais se diversifie, abordant toute une série de services connexes. Lesquels sont encouragés par le développement des axes ferroviaires et routiers, dont le fameux corridor qui rejoint l’Éthiopie et son très attractif marché de 100 millions d’âmes. En attendant, les nouvelles liaisons aériennes assurées par Air Djibouti, la compagnie nationale relancée en 2015 et qui déploie à présent ses ails avec pour cible le marché de la Comesa, soit 400 millions de consommateurs. Des axes également portés par la présence, de plus en plus nombreuses de banques régionales qui elles aussi, par défaut au départ, s’implantent à Djibouti pour développer leurs activités régionales. Avec pour moteur de son développement, l’intégration régionale. Le tout participant à imposer Djibouti comme le point pivot de la Corne de l’Afrique pour les investisseurs.
IDE, 5,8% du PIB en 2018
Et c’est sur sa stabilité que Djibouti compte en premier lieu pour attirer ces derniers. Avec la présence de 5 bases militaires étrangères, et pas des moindres, France, États-Unis et Chine en attendant la Russie, soit les plus grandes puissances mondiales, Djibouti a fait de la sécurité de son territoire son premier argument commercial. De même que sa monnaie, indexée au dollar, librement convertible et stable. Avec en prime une politique ouvertement libérale. Déjà, le pays attire d’importants investissements directs étrangers, 5,8 % du PIB en 2018. En dépit du climat des affaires jugé encore complexe, (112ème au Classement Doing Business en 2020 même si Djibouti figure parmi les économies les plus réformatrices en 2019), du coût de l’électricité…
Reste la question de dette, 104% du PIB du pays fin 2018, un seuil jugé inquiétant pour les bailleurs de fonds. D’autant qu’elle est concentrée, à hauteur de 55%, entre les mains des Chinois. Lesquels réalisent, depuis la mise à l’écart par le gouvernement des Émiraties _ DP World a été écarté de la gestion du nouveau terminal de conteneurs du port de Doraleh et ses parts nationalisées (un tiers du capital) en attendant un arrangement financier_, l’essentiel des grands projets en cours à Djibouti. Au cœur du projet de route de la soie de la Chine ou One Belt, One Road Initiative, dévoilé en 2013 et qui vise à relier 60 pays à travers trois continents, Djibouti joue le rôle de porte d’entrée entre l’Afrique de l’Est et l’Asie. Et accueille ainsi toutes les attentions chinoises, traduites par l’implantation de la Bank of China qui finance depuis Djibouti ses activités régionales.
« Une nouvelle chance pour Djibouti »

En attendant les grands projets énergétiques, un des points faibles de Djibouti, dans l’éolien, la géothermie, Djibouti connait incontestablement une nouvelle dynamique. « C’est une renaissance, portée par les locaux cette fois » juge Ahmed Osman, gouverneur de la Banque centrale. « Une transformation complète de l’économie » pour Mahdi Darar Obsieh, DG National Investment Promotion Agency. « Un nouveau modèle de développement qui vise à créer de la valeur ajoutée et des emplois » pour Idil Adan Osman, Directrice Centre de Formation de la Chambre de Commerce de Djibouti. « Une nouvelle chance pour Djibouti » estime Samatar Abdi Osman, directeur du Centre de Technologie et d’Innovation pour le Développement (CTID). A condition souligne-t-il d’investir et de miser sur le capital humain. « Autrement, cette Vision 2035 sera un leurre. » Alors que 50% de la population active est au chômage, c’est effectivement la priorité inscrite dans a Vision 2035 quia pour double objectif de tripler le revenu par tête et d’améliorer les indicateurs de développement social et humain, et par ailleurs créer 200 000 emplois au cours des quinze prochaines années.
Pour l’heure, même si le pays a de sérieux concurrents_ Djeddah, Berbera, au Somaliland, Assab, en Érythrée, sans oublier Dubaï_, le balaie interrompue de camions qui rythme la route RN1 qui mène à l’ Éthiopie, le confirme : Djibouti s’est imposé comme le carrefour régional.
Chiffres
• Population : 1.0 million d’habitants
• Capitale : Djibouti
• PIB (en milliards de dollars) : 2
• Taux de croissance : 6,7 % (2018)
• PIB Par habitants : 2050
• Taux de chômage : 11,1 %
• Solde commercial : – 937 millions de dollars
• Composition du PIB
– Agriculture : 2,2 %
– Industrie : 15,5 %
– Services : 82,3 %
• Premiers fournisseurs commerciaux : France, Émirats Arabes Unis
• Premiers clients : Éthiopie, France
(Source : Banque mondiale)