Le gouvernement a annoncé, à l’issu du conseil des ministres du 12 octobre, la libéralisation du secteur de l’électricité, lequel avait suscité des remous sociaux courant juillet du fait de l’augmentation des factures d’électricité. Analyse sur les enjeux de cette décision au cœur d’un secteur sous haute tension.
Après les manifestations et violences qui ont suivi l’annonce de l’augmentation des factures d’électricité en Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara avait repris à l’ordre ses troupes et dénoncé une mesure en déphasage avec la décision gouvernementale de janvier 2016, réclamant au passage un audit de la Compagnie Ivoirienne d’Electricité (CIE). Et, le 1er Mai, à l’occasion de la célébration de la Fête du Travail, il annonçait la libéralisation prochaine du secteur de l’électricité avant d’exiger le remboursement du « trop perçu » sur les factures. Résultat, à l’issu du Conseil des ministres du 12 octobre, était annoncée la signature de six décrets portant sur les modalités de réorganisation de l’Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité qui devient Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité en Côte d’Ivoire (ANARE-CI).
« Il s’agit d’assurer l’indépendance énergétique de notre pays »
Sur les objectifs assignés à cette libéralisation, le communiqué du Conseil des Ministres, rendu publique, indique qu’ « il s’agit pour le Gouvernement d’assurer l’indépendance énergétique de notre pays et de créer les conditions économiques permettant la rentabilisation des investissements tout en assurant la protection des droits des consommateurs. »
Poursuivant, le texte précise que « ces décrets, pris en application de la loi n° 2014-132 du 24 mars 2014 portant Code de l’électricité, réaffirment la volonté de l’Etat d’ouvrir à la concurrence la quasi-totalité des segments d’activité de l’électricité. Ils précisent, à cet effet, les conditions et les modalités dans lesquelles se déroulent les activités de développement des énergies nouvelles et renouvelables, organisent le cadre stratégique de la maitrise de l’énergie et de l’autoproduction et définissent les règles de fixation et de révision des tarifs de vente de l’énergie électrique. »
Sur les six décrets signés par Alassane Ouattara, les deux premiers tracent les sillons du prochain visage que prendra le secteur, pour l’heure sous contrôle du français AXA après le désengagement de Bouygues. « Le premier décret remplace et abroge le décret n° 2014-291 du 21 mai 2014 relatif aux conditions et modalités de conclusion des conventions de concession pour l’exercice des activités de production, de transport, de dispatching, d’importation, de distribution et de commercialisation de l’énergie électrique ; le deuxième décret fixe les conditions d’exercice et les modalités de la vente de l’énergie électrique produite par un producteur indépendant ou de l’excédent d’énergie électrique produite par un auto-producteur ».
Après l’engagement du président Ouattara, le gouvernement passe à l’acte
« On a tous été témoins de la grogne de la population contre l’augmentation des factures de courant juillet dernier. Naturellement, il fallait aux autorités ivoiriennes montrer qu’elles sont à l’écoute de la population » indique à ANA Alphonse Soro, député RDR de Karakoro-Komborodougou (Région du Poro, Nord). Il rappelle que « le Président Ouattara a indiqué qu’un audit allait être fait. La deuxième mesure phare était la décision de libéralisation du secteur qui va impliquer la concurrence. Il est tout à fait normal que le gouvernement passe à l’acte. » Signalant toutefois que « la grogne ne s’est pas estompée définitivement », le député se veut rassurant : c’est« un gouvernement responsable qui prend des décisions responsables. »
Dr Kouakou Albert Yao, Sociologue, enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouët-Boigny se veut plus nuancé. « Si la libéralisation signifie aussi défiscalisation des intrants et matériels des autres énergies notamment biomasse, solaire, je crois que cela est salutaire. Mais, si cette libéralisation n’est que l’ouverture du capital des producteurs d’énergie actuels, cela n’arrangera pas les Ivoiriens » soutient-il. Selon lui « Le coût de l’électricité est encore trop élevé alors si libéraliser permet de baisser les coûts au consommateur, c’est une action positive» avant de faire savoir que l’énergie solaire n’est pas encore à portée de bourse. « Une anecdote: j’ai demandé le coût d’installation de l’énergie solaire dans la maison familiale de 5 pièces au village, (mon village de 2850 habitants n’est pas électrifié), je dois payer 1 500 000 FCFA. À vous d’en juger ! ».
Energie : Le hub de la sous-région se confirme
Si le mix énergétique est toujours d’actualité dans le pays, la Côte d’Ivoire renforce ses capacités énergétiques à grande vitesse. Avec la construction d’une nouvelle centrale thermique à gaz d’une puissance installée de 350 à 400 MW, fruit d’un accord entre l’Etat ivoirien et Eranove, la Côte d’Ivoire doit doubler sa capacité énergétique, actuellement évaluée à 2.000 MW, pour atteindre 4.000 MW d’ici 2020. Ceci, alors que le chef de l’Etat inaugurait, le 17 février dernier, la dernière extension de la centrale thermique de la Compagnie ivoirienne de production d’électricité (Ciprel, filiale d’Eranove), installée en 1994 dans la zone industrielle de Vridi dans la capitale économique Abidjan, laquelle augmente la production du site de 70 %, avec 556 MW. De quoi alimenter 120 000 foyers ou 1,2 million de personnes… et renforcer l’offre énergétique selon une stratégie initiée en 2012.
9 milliards de dollars d’investissements sur les cinq prochaines années
« Notre gouvernement prévoit de doubler la capacité énergétique de la Côte d’Ivoire, actuellement évaluée à 2 000 MW, a indiqué le ministre en charge du secteur, Adama Toungara. Pour y parvenir, nous tablons sur 9 milliards de dollars d’investissements sur les cinq prochaines années dans le cadre du Plan National de Développement ». Des investissements qui doivent se traduire par la mise en service de 4 barrages hydroélectriques d’une capacité totale de 587 MW, d’une centrale solaire de 167 MW, de 3 centrales à gaz d’une capacité totale de 835 MW, et de 2 centrales à charbon de 1 400 MW d’ici à 2020. Résultat, la Côte d’Ivoire afficherait une capacité de 3000 MW contre 1975 MW en 2015, fournie à 72,5% par 4 centrales thermiques et 27,5% par 6 centrales hydrauliques. Sachant que le taux d’électrification de la population est de 43% et la demande en hausse de 25%.
Projet phare de la politique énergétique de la Côte d’Ivoire, le barrage hydroélectrique de Soubré, en cour de construction par la Chine, le plus puissant et le plus grand centre de production énergétique sous régional d’une puissance installée de 275 MW et d’un productible annuel de 1.100 gigawatt heure (Gwh), doit asseoir l’ambition ivoirienne : se positionner comme le hub énergétique de l’Afrique de l’Ouest. Déjà, le pays exporte de l’électricité au Ghana, au Togo, au Bénin, au Burkina Faso, au Mali et à terme à la Sierra Leone, au Liberia et à la Guinée. Dans le viseur des autorités, augmenter la production d’électricité, en baisser le coût également alors que la hausse des factures de 5% a mis le pays sous-tension. « Il faut mettre fin au monopole de la CIE (compagnie ivoirienne d’électricité) et de la SODECI (société de distribution d’eau), a déclaré le président Ouattara en marge des célébrations de la fête du Travail du 1er mai, marquées par des grèves et manifestations. Je lance un appel à tous ceux qui souhaitent venir investir dans ces secteurs de le faire pour que nous ayons une saine compétition qui permettra de maîtriser les prix et de baisser le coût de l’électricité ». Les autorités comptent sur des capitaux privés pour investir 16 milliards d’euros dans le secteur d’ici 2030.
Issiaka N’GUESSAN