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Cart’Afrik Bouaké De l’ombre à la lumière 

Jadis destination privilégié des Abidjanais et des touristes étrangers, Bouaké, théâtre de la guerre qui a divisée la Côte d’Ivoire, n’était plus que l’ombre d’elle-même au lendemain de la crise de 2011. Depuis, Cette ville, carrefour régional économique et culturel, connaît un second souffle… 

Reportage, par Dounia Ben Mohamed

« Oui, il y a du tourisme à Bouaké! assure Daniel, guide local. Nous recevons toujours des groupes de français ou européens». Toujours mais bien moins qu’il y a quelques années. Beaucoup l’ont sans doute oublié mais il fut un temps où la deuxième ville économique de Côte d’Ivoire, attirait les visiteurs du monde entier pour sa faune et sa flore insolites. Des Abidjanais également en quête de dépaysement dans cette cité autrefois festive. C’était dans les années 50, plus encore pendant « les trente glorieuses ivoiriennes », années du miracle ivoirien, du temps d’Houphouet,  du faste et des grandes ambitions. «Mes parents me racontaient que tous les week-ends, les Abidjanais montaient à la piscine où était donné des bals. Aujourd’hui, on subit les conséquences de la guerre… », déplore Mariame Diallo employée au Conseil général de Bouaké. 

A la suite du coup d’état contre Laurent Gbagbo, en 2002, la Côte d’Ivoire est littéralement divisée en deux et Bouaké abrite le fief de la rébellion, les Forces Nouvelles (FN), qui ont pris fait et cause pour Alassane Ouattara. Abandonnées par le pouvoir central, les infrastructures de la ville dépérissent, les fonctionnaires, plus rémunérés, quittent leur poste, les usines et sociétés ferment les unes après les autres… La décennie de crise politico-militaire détruit le tissu socio-économique local. Fini le tourisme. Les Bouakois eux-mêmes désertent les lieux, après les enseignants, les médecins, les cadres administratifs… « Aujourd’hui la vie reprend… tout doucement » poursuit Mariame. Et les agents de l’Etat sont de retour. A l’image d’Anzia Kouamé, DGA du conseil général, en poste depuis novembre 2013. Avec son confrère, François Kouet Bi, ils sont « les nouveaux arrivants à Bouaké ». Tous deux symbolisent le retour de l’Etat dans la ville. « La préfecture a été réhabilitée, le CHU, les voieries… », énumèrent-ils.Le siège des FN a été remplacé par un Institut National de Formation des Agents de Santé (INFAS) et la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) occupe l’ancien bastion de l’État- Major des FN. 

Infrastructures et administrations réhabilitées

Une reprise caractérisée par la réhabilitation des infrastructures et administrations locales. Dans le cadre du Plan présidentiel d’urgence, notamment depuis la visite d’ADO en novembre 2013, toute une série de travaux a été lancée au niveau des routes, des hôpitaux, des écoles, de l’approvisionnement en eau, de l’accès à l’électricité. Tandis que les travaux d’extension de l’autoroute Nord, qui va jusqu’à la frontière, doivent démarrer avant la fin de l’année 2015. Le financement est déjà acquis : 118 millions d’euros soit environ 77,402 milliards de FCFA, conclu en avril 2015 entre la Banque islamique de développement (BID) et l’Etat.Partiellement réhabilité depuis 2011, l’axe Yamoussoukro-Bouaké vise à améliorer et renforcer les liaisons commerciales entre Abidjan et le nord du pays d’une part, et les pays de l’hinterland d’autre part.De quoi doper les activités économiques locales.

Une ville carrefour

« Avant la rébellion, de grandes sociétés étaient installées ici », rappelle Bamba Touré, chargé de la jeunesse. Depuis, certaines ont rouvert tandis que d’autres se sont installées. Dont Olam qui a établi, à 5km de la ville, son usine de transformation de noix de cajou doté d’une capacité de production de 30 000 tonnes par an.Un investissement de 17 milliards FCFA, qui s’est traduit par la création de plus de 2 000 emplois. « C’est une usine importante pour le groupe qui veut devenir premier producteur africain d’anacarde, indique un responsable d’Olam. La situation géostratégique de la ville nous offre un positionnement idéal pour atteindre cet objectif. » « Bouaké relie toutes les destinations du pays et se situe à proximité des frontières des pays limitrophes», confirme Anzian Kouamé. 

Véritable carrefour commercial, Bouaké n’avait jamais totalement perdu son attractivité pendant la crise. Sauf que l’insécurité a conduit un certain nombre de transporteurs à emprunter d’autres voies, tandis que ceux qui maintenaient l’initéraire étaient ponctionnés « par la rebellion ». Avec le retour de la stabilité, les affaires ont repris. « Les pays voisins s’approvisionnent et nous livrent ici », indique Amara Dao, directeur de la société d’exploitation du marché de gros de Bouaké (MGB). Construit en 1998, sur près d’une trentaine d’hectares, entièrement détruit par un incendie il y a 18 ans,le MBG était le centre commercial du vivrier de la sous-région avant que la guerre ne conduise à son boycott. « Pendant la crise, à cause des nombreux barrages installés par les rebelles, les producteurs ont délaissé le marché pour aller s’aprovisionnier directement bord champ, quitte à aller loin. Aujourd’hui, de plus en plus reviennent. Bouaké est en train de renaître. C’est le second souffle ! » D’autant que le Marché fait l’objet d’un important programme de réhabilitation et de modernisation, 10 milliards de FCFA ont été octroyées par la coopération française, dans le cadre du Contrat de désendettement et de développement (C2D).

« Les anciens combattants ont été réintégrés dans l’armée, d’autres dans la police, et d’autres… attendent »

Sur la route de Daoukro, le lycée français de Bouaké, bombardé pendant la guerre, est laissé à l’abandon comme le camp militaire français. La ville, fief de l’ancienne rébellion, a connu les affrontements les plus durs au plus fort de la guerre post-électoral. « On n’osait même pas sortir de chez nous », se souvient Mariame. Aujourd’hui, la réconciliation, processus complexe est à l’œuvre à Bouaké. Dans le cadre du Processus Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) qui doit être achevé en 2015, les anciens combattants ont été « réintégrés ». Certains dans l’armée, d’autres dans la police, et d’autres… attendent. C’est un enjeu national. La question de la réconciliation qui reste à sceller (voir encadré ci-dessous).  

« L’Etat est de retour mais les moyens sont insuffisants »

En attendant, l’indice national de sécurité, passé de 3,8 en janvier 2012 à 1,18 en août 2014, illustre l’amélioration du climat sécuritaire. A l’échelle nationale. A Bouaké également qui compte aujourd’hui plus de 600 000 habitants. L’insécurité a baissé, le commerce se développe, mais la vie est chère, les loyers notamment, et l’emploi, comme ailleurs dans le pays, fait défaut. « En termes d’infrastructure, c’est incontestable, le changement est visible, juge Ranie-Didice Bah, enseignante en économie à l’université Alassane Ouattara de Bouaké. Une université délocalisée à Abidjan pendant la guerre et qui a retrouvé ses étudiants à la rentrée 2011-2012. Elle ajoute : « Bouaké est plus accessible avec la nouvelle autoroute jusqu’à Yamoussoukro. Même à l’intérieur de la ville, on sent que la vie reprend, les populations reviennent et reprennent leur activité, l’Etat est de retour mais les moyens sont insuffisants. Il n’y a pas d’emploi, c’est le principal problème !»  

Une nouvelle zone franche

L’implantation d’une nouvelle zone franche pour répondre à la demande des sociétés qui souhaitent s’installer dans la région devrait, en palier, palier à ce défi. Et au-delà, apaiser les tensions encore vives. En attendant, la ville a retrouvé son carnaval… plus de vingt ans après la dernière édition.

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